• Le motard
    Fergus

    LE MOTARD (Fergus)



    André Sabatier laissa retomber sa fourchette. Cette blanquette était décidément trop copieuse. « Le genre de plat qui te fait tomber trois tonnes sur l’estomac ! » aurait affirmé ce barge de Rico. Avec à la clé un risque non négligeable de somnolence. Pour L’Ardéchois, pas question de se relâcher : il restait encore deux cents bornes à tirer jusqu’au rafiot qui devait le conduire dans la baie de Dingle où un ami irlandais lui avait dégotté une planque sûre. Deux cents bornes d’une vigilance de tous les instants. En principe, pas de risque d’accroc : les barrages avaient été levés depuis belle lurette sur l’ensemble du territoire. Seul pouvait subsister, ici ou là, un contrôle de routine. Pas de quoi s’affoler : avec sa nouvelle tronche et ses fafiots de première bourre, les pandores ne verraient en face d’eux qu’un quadra peroxydé au look de tantouze, un dénommé Jean-Luc Thyssen, domicilié à Woluwe-Saint-Pierre dans les faubourgs chics de Bruxelles. Quant à la bécane, elle tournait comme une horloge helvète. Aucun souci à redouter de ce côté-là. Quand même, mieux valait garder les idées claires. Sabatier repoussa son assiette et commanda un double café sans passer par la case fromage ou dessert pourtant prévue dans le menu du jour à 14 euros. Il renonça, pour le même motif, à terminer son pichet de vin. Non sans un certain mérite : le pinard proposé par la patronne n’était qu’un vin de pays sans prétention, mais il caressait agréablement le palais. En d’autres temps, Sabatier aurait liquidé le picrate. En d’autres temps, il aurait également fait du gringue à la serveuse, une petite brunette au sourire espiègle et à la fesse aguichante. Du gringue, et plus si affinités…
 
Quatorze heures sonnèrent au coucou de la salle à manger sans troubler la quiétude des biches qui s’abreuvaient dans la mare de la grande tapisserie défraîchie qui ornait le mur du fond. L’Ardéchois vida son café. L’addition réglée, il sortit calmement du resto, sanglé dans son blouson de motard en cuir noir. Par chance, il faisait un temps exécrable, mélange de crachin et de bourrasques. Un temps à faire fuir le plus zélé des poulets. N’empêche, pas question de prendre le moindre risque. Sans hâte, Sabatier assujettit son casque, puis enfila ses gants. D’un revers de main, il balaya l’eau qui s’était accumulée sur le siège de la moto. La Kawasaki, docile, démarra au quart de tour. Une bonne machine.     
       
Le camion d’Yvon Coroller déboucha sur la crête. Un fort vent de nord-ouest balayait la lande. Tandis que le poids lourd tournait sur le rond-point, une rafale soudaine vint frapper la tôle. La carrosserie fatiguée émit une longue plainte métallique. Le conducteur n’y prêta pas attention. Machinalement, son regard s’était porté vers l’émetteur du Roc’h Tredudon dont l’antenne se perdait dans les effilochures de brouillard. Pas de danger qu’il saute celui-là, les mouvements autonomistes bretons avaient depuis longtemps renoncé à l’activisme violent. Dommage, d’une certaine manière, vu les programmes de merde que diffusait la télé et dont se gavait cette sotte de Katell dès qu’il avait le dos tourné. Bien que d’une nature paisible, Yvon Coroller en vint à souhaiter qu’une bonne charge d’explosif détruise une nouvelle fois le pylône, histoire de sevrer sa femme de ces inepties dont elle s’abrutissait des heures durant. Réflexion faite, mauvais calcul : elle lui pourrirait la vie jusqu’à l’installation d’une parabole. Une nouvelle plainte de la carrosserie ramena Coroller à sa conduite. Il haussa les épaules et s’engagea résolument en direction de Brasparts, sans un regard pour le Roc’h Trévézel dont les crocs de schiste lacéraient le ciel plombé.
 
Depuis son départ du restaurant, deux heures plus tôt, André Sabatier taillait la route avec prudence, en veillant à ne jamais dépasser les limitations de vitesse pour le cas où une patrouille de pandores serait embusquée à l’affût d’éventuels contrevenants. On ne sait jamais avec les flics. C’était toutefois hautement improbable, compte tenu de la météo dégueulasse qui sévissait sur l’Ouest depuis deux jours. En outre, il ne circulait qu’un faible nombre de véhicules sur cette route paumée des Monts d’Arrée. Faut dire que la contrée était pour le moins inhospitalière : de grands espaces pelés d’où émergeaient, ici et là, des moignons rocheux noirâtres tout ruisselants de pluie. En contrebas de la route s’étendait une immense cuvette désertique, faite de tourbières pisseuses et de landes marronnasses. Un vaste lac, dominé à l’une de ses extrémités par la masse de béton d’une ancienne centrale nucléaire, complétait ce paysage de désolation dépourvu de toute habitation visible. « Bienvenue à Brennilis », se dit mentalement l’Ardéchois en consultant la carte routière glissée sous le lecteur plastifié.  

Hervé Grall et Louis Hamon en avaient terminé avec Fanch Rivoal. Pour la troisième fois en moins de deux mois, le vieil homme s’était enfui de chez lui complètement à poil. Au risque de choper une bonne crève par ce temps de chien. Côté attentat à la pudeur, pas de danger que l’exhibition effarouche la maigre population de Botmeur, vu le délabrement physique du délinquant : torse aux côtes saillantes, membres décharnés, fesses inexistantes ; quant à l’appareil génital, bordé par un frisottis de crins blanchâtres et parcimonieux, il se résumait à des balloches flasques et une chose pendouillante et molle, à dégoûter la plus délurée des gamines. À l’évidence, Rivoal n’avait rien à voir avec un faune lubrique. Tout au plus un vieillard gâteux. N’empêche, pour la deuxième fois, plainte avait été déposée à la gendarmerie. Enfin, l’affaire était maintenant définitivement réglée : la mort dans l’âme, Hortense Rivoal avait signé l’internement de son bonhomme dans une maison de retraite spécialisée.
 
Saloperie de temps. Sur la route du retour, les deux gendarmes décidèrent de s’octroyer une pause café à La Croix Cassée. Posé au bord de la route de Brasparts, le bistrot faisait figure d’oasis dans ce désert lugubre et sombre. Tandis que les gendarmes sirotaient leur jus au comptoir, le vent se renforça en mugissant sur la lande. Des bourrasques de pluie vinrent frapper les vitres du bistrot. Leur tasse bue, les gendarmes sortirent du café. Un camion chargé de tôles brinquebalantes les noya dans un nuage de flotte. Les flics prirent place en pestant à bord de leur Peugeot. L’adjudant Grall s’apprêtait à démarrer lorsqu’une moto surgit dans son rétroviseur. Le flic la laissa passer et se coula dans son sillage en direction de la brigade. 
 
Pas de doute, le camion vibrait. Les sangles qui maintenaient le chargement avaient pourtant été serrées au maximum. Toujours pareil avec ces putains de tôles : au bout d’un moment, quoi qu’on fasse, ça finissait par jouer avec les cahots de la route. Un instant, Yvon Coroller fut tenté de s’arrêter sur le bas-côté pour s’assurer de la solidité de l’arrimage. Bah ! plus que quinze bornes jusqu’à Pleyben, ça tiendrait bien jusque-là ! D’ailleurs mieux valait ne pas s’arrêter maintenant. Les poulets étaient à La Croix Cassée. Sûr qu’ils viendraient l’emmerder s’ils le voyaient garé en bord de route par ce temps. Coroller brancha l’autoradio. La voix éraillée d’Arno emplit l’habitacle : « She’s a bathroom singer… » Katell aussi était une bathroom singer. Qu’est-ce qu’elle pouvait le faire chier avec ses bluettes à la con. Ras la casquette des Fabian, Obispo, Dion et autres Cabrel. Yvon Coroller changea de station, dénicha un Carlos Nuñez de derrière les fagots. Il s’abandonna à la voix chaude de la gaïta du Galicien.  
 
L’Ardéchois fronça les sourcils en voyant la bagnole des gendarmes prendre son sillage. D’un geste machinal, il s’assura de la présence du Manurhin dans sa poche droite. Fausse alerte : les pandores restaient sagement calés dans son dos, à mille lieues d’imaginer que le motard belge qui les précédait était l’homme le plus recherché de France. Sabatier sourit : on ne laisse pas trois flics au tapis sans s’attirer quelques désagréments. Malgré la levée des barrages, l’Ardéchois savait que la traque se poursuivait dans l’ombre, haineuse, déterminée, impitoyable. Une traque à mort. Sa propre mort. Celle d’autres flics. Les deux peut-être. Les deux sans doute. Une seule chose était sûre : il n’y aurait jamais de procès Sabatier.
 
Yvon Coroller avait laissé sur la droite la petite route qui montait au Mont Saint-Michel de Brasparts. Masquées par les flaques d’eau, des nids de poule parsemaient les bords de la chaussée par endroits. Le camion les franchissait en gémissant. Absorbé par l’écoute de Carlos Nuñez, le conducteur n’y prêtait guère attention. Soudain, un cahot plus violent provoqua une embardée du camion. Un claquement sec se produisit à l’arrière. Coroller comprit aussitôt qu’une sangle venait de se rompre. Comme pour lui donner raison, le chant métallique des tôles en goguette vint couvrir le son de la gaïta. Le conducteur émit une bordée de jurons. Entre temps, le halo jaunâtre d’un phare s’était inscrit dans le rétroviseur : une moto avait entrepris de le doubler. Lancé sur son erre, le deux-roues parvint à la hauteur de la cabine. Ce fut la dernière image qui s’inscrivit dans l’œil du conducteur. Il s’affala sur son volant, le cœur foudroyé par l’horreur.
         
Prudemment, l’adjudant Grall stoppa la Peugeot à distance de l’accident : des feuilles de tôle, portées par les rafales de vent, continuaient de voler ça et là sur la chaussée et la lande, comme autant de menaces. À cent mètres de là, le camion avait versé dans le fossé. La moto et son pilote gisaient un peu plus loin, couchés sur le bitume détrempé. Tandis que son collègue alertait la brigade, le lieutenant Hamon, intrigué, s’extirpa de la voiture malgré le danger : lors de l’accident, il avait cru voir un objet noir rebondir sur la route en avant de la voiture pour finir sa course dans les bruyères du bas-côté…
 
Trente secondes plus tard, l’officier, livide, vomissait son déjeuner. À ses pieds gisait un casque dont la visière avait été arrachée. Deux grands yeux étonnés fixaient le gendarme. Le cou ensanglanté du motard avait été tranché net, comme au rasoir.


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  • Qui ne se souvient de l'Ecole des fans, animée par le regretté Jacques MARTIN?

    En voici quelques extraits pour les nostalgiques.

     


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    A DUBLIN- "NOUS DEMANDONS PARDON..."


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  • Décès du cardinal Jean-Louis Tauran, artisan du dialogue interreligieux

    DÉCÈS DU CARDINAL TAURAN

     


    Le Vatican et l’Église catholique universelle sont endeuillés par la perte du cardinal français Jean-Louis Tauran, décédé jeudi 5 juillet dans la soirée. Atteint depuis longtemps de la maladie de Parkinson, le cardinal Jean-Louis Tauran se trouvait depuis quelques jours dans une communauté de religieuses franciscaines du Connecticut aux États-Unis pour se soigner.

    Delphine Allaire – Cité du Vatican  
    Âgé de 75 ans, cette figure incontournable de la diplomatie vaticane, à la tête du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, n’a cessé d’œuvrer inlassablement pour la paix mondiale.
    Décrit comme un homme doux et d’une humilité extrême, très apprécié pour ses talents de diplomate et son sens de l’écoute, le cardinal Tauran, qui avait annoncé au monde entier l’élection du Pape François en 2013, était surtout, depuis 2007, l’homme du dialogue interreligieux au Vatican.
    Une brillante carrière diplomatique
    Né à Bordeaux en 1943, licencié en philosophie et en théologie,  il était l'un des rares cardinaux à avoir étroitement côtoyé et travaillé auprès des trois derniers papes. Entré en 1975 au service de la diplomatie du Saint-Siège, il sera notamment auditeur à la nonciature apostolique au Liban, avant d’etre consacré évêque par Jean-Paul II au sortir de la guerre froide, en janvier 1991. Mgr Jean-Louis Tauran est alors nommé Secrétaire pour les relations du Saint-Siège avec les États. Un poste clé qui permet au polyglotte, nommé à seulement 47 ans, un âge très jeune pour ce type de poste, d’appréhender finement les arcanes diplomatiques mondiales. Il y reste treize ans.
    En 2003, Saint Jean Paul II le nomme cette fois à la tête de la prestigieuse bibliothèque apostolique, ainsi qu'à celle des Archives secrètes du Vatican. Il est alors créé cardinal, alors qu'il est déjà affaibli, comme le Pape polonais, par la maladie de Parkinson. Quatre années se passent, le Souverain pontife change, et c’est Benoît XVI qui le rappelle aux affaires du monde.
    Le Pape allemand lui confie la présidence du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Cette mission délicate au centre de l’échiquier géopolitique prend effet le 1er septembre 2007.
    L’interreligieux pour héritage
    Pakistan, Iran, Jordanie, Azerbaidjan, les voyages s’ensuivent. Reconnu depuis comme un artisan aguerri du dialogue interreligieux, le cardinal Tauran a ainsi organisé le premier sommet catholique-musulman en septembre 2008 dans la Ville éternelle. Il a aussi œuvré pour le rapprochement entre le Vatican et l'université Al-Azar, prestigieuse institution du monde musulman sunnite. Enfin, tout récemment, au mois d'avril 2018, il avait effectué une visite historique en Arabie Saoudite. Un voyage au cours duquel le Vatican et le royaume saoudien avaient signé un accord de coopération.
    Enfin, le cardinal Tauran était aussi celui qui annonça au monde entier l’élection de François. Mercredi 13 mars 2013, depuis le balcon du Palais apostolique, il prononce l’illustre formule latine «Habemus Papam».
    Nommé cardinal protodiacre en 2011 par Benoit XVI,  il est fait camerlingue par le Pape François en 2014, c’est-à-dire en charge de gérer les affaires du Saint-Siège durant une période de vacance apostolique. 
    Le Sacré Collège des cardinaux est désormais constitué de 225 cardinaux dont 124 électeurs et 101 non-électeurs.
    VaticanNEWS


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    L'HÉRITAGE

    par Florane

     

    L'HÉRITAGE (NOUVELLE)

    — Non, je le crois pas ! T’as fait ça avec une Xalactienne dans un téléporteur ?
    Gilbario regardait son coéquipier Tanco avec stupeur. Ce dernier se la jouait un peu en gardant les yeux fixés sur le radar de bord.
    — Ouais mon pote, répondit-il. Et je peux te dire que ça décoiffe quand il y a dématérialisation. Tu voyages... C’est le cas de le dire.
    — Ha ! Ha ! Y a qu'un fêlé comme toi pour oser un truc pareil. T’imagines à l’arrivée ? Et s’il y avait eu symbiose ?
    — Bah ! Faut prendre des risques... Sinon tu traverses tes cycles sans peps ! A te demander pourquoi ta génémère t’a mis au monde.
    Gilbario haussa les épaules. Les élucubrations de Tanco ne le faisaient pas rêver. Il se dit que son existence n’était pas si mal. En tant qu'hybride Zella, il avait la chance d’exister dans la classe évoluée des humains. Il aurait pu naître Stourb et gratter le sol à longueur de jour avec des mains spatulées sans avoir conscience d’exister. Il se recala dans le siège de l’Overland qui glissait sans bruit à dix mètres du sol. Il était trois heures du matin. Gilbario aimait ces patrouilles dans le secteur mort. Le noir total qui les enveloppait, le ronronnement du gyrosparc de bord. Ce soir, ils n’avaient eu à consigner qu’une intervention près d’un dépôt alimentaire. Une femelle Gojie et son petit qui tentaient de cisailler le grillage avec leurs dents. Ils les avaient abattus suivant le protocole. Gilbario était toujours impressionné de reconnaître la morphologie humaine de ces mutants, sous leur épaisse toison. Ils avaient dû vite partir car l’odeur de chair brulée par les tirs laser avait attiré toute la vermine trans-humaine du coin qui venait se disputer le dîner.
    — 37 °C ! , fit Tango. Fait frisquet ce soir.
    — On est en octobre. Tu sembles l’oublier.
    — Tu parles si j’oublie. Je ne pense qu’à ça. Dans deux semaines, je me fais un Virto. C’est moi qui ai choisi le programme ! Je pars dans les Endrisses avec une droïde de chez Zaac. Ça m’a coûté un max mais elle va être à mes petits soins tout le temps. Tu devrais faire comme moi plutôt que de passer ton temps libre à faire de l’archéo-mes couilles ! Qu’est ce que t’en à foutre de retrouver tes ancêtres ?
    — Mes ancêtres sont aussi les tiens... Et...
    Le signal strident du détecteur l’interrompit. Une forme humanoïde s’afficha sur l’écran incorporé de leurs casques Viobul. L’individu courrait.
    — Qu’est ce qu’il fout là celui la, fit Tanco. Il est fatigué de vivre pour se promener ainsi dans les zones irradiées ?
    — Regarde ! Il est poursuivi. Sans doute des Poulçus qui ont dû sentir son odeur.
    — Ouais et devant y en a d’autres qui l’attendent en embuscade. Il est foutu si on ne le sort pas de là.
    — C’est peut être un mutant. On doit pas intervenir, faut laisser faire la nature.
    — Trop grand ! Regarde sa signature thermique. C’est un évolué. Allez ! On va le chercher. Mets-toi au canon et pète-moi la vermine qu’il a autour !
    Gilbario activa son implant neuronique et le canon se mit aux ordres de son cerveau. Il ne lui fallut que quelques instants pour atomiser les prédateurs qui avaient encerclé le fuyard.
    Tanco, alluma les projecteurs de l’Overland et l’amena face à l’individu. Ce dernier s’était arrêté, complètement aveuglé.
    — Police ! Vous êtes dans une zone interdite. Nous allons vous intercepter. N’opposez aucune résistance ou nous vous abattrons.
    Les générateurs bio-neuroniques de l’Overland avaient instillé le commandement dans le cerveau de l’individu. Celui-ci avait compris les sommations et levait les mains au ciel.
    — Allez, va le cueillir, ordonna Tanco à son coéquipier. T’en fais pas je le garde en point de mire.
    Tanco déverrouilla la porte de la soute qui s’abaissa lentement vers le sol. Gilbario sauta dans la steppe marécageuse. Son capteur de radiation indiquait le taux constaté sur toute la planète depuis la guerre qui avait enseveli l’ancien monde, il y avait si longtemps. Gilbario s’approcha de l’individu. C’était un homme. Le policier eut un coup au cœur en découvrant le visage ridé, les cheveux blancs et les étranges vêtements de l’individu.
    — Suivez-moi, lança t-il d’autorité, nous allons monter dans l’Overland. Dépêchez ! Ça grouille par ici... Vite !
    Mais l’homme ne réagissait pas. Gilbario le poussa au devant de lui. Ils se retrouvèrent dans la soute alors que des bruits se faisaient entendre dans la nuit noire.
    — Décolle nom de dieu !, fit Gilbario d’une voix au bord de la panique.
    Tout autour de l’Overland, des êtres venaient de surgir dans la lumière des projecteurs. Gilbario venait d’en effacer deux qui avaient sautés sur la porte de la soute avant qu’elle ne se referme. Il grimaçait de dégoût face à la tête mi humaine, mi poisson de ces êtres amphibiens qui était restée à bord, guillotinée par le tir laser.
    L’homme était prostré. Les yeux affolés. Il avait peur, très peur.
    — Mets-le aux fers, ordonna Tanco. Je rentre au central. J’ai envoyé notre rapport. Ils nous attendent.
    L’homme se laissa docilement entraver. Assis sur une sellette peu confortable, il semblait absent. Gilbario rejoignit le poste de pilotage.
    — C’est étrange la façon dont cet homme est habillé, dit-il d’un air évasif.
    — Quoi? Il ne porte pas la tenue du Erzh ? Le fou ! Il va se faire étriller.
    — Non. Il porte ce genre de tenue que j’ai pu voir parmi les documents de la vie de nos ancêtres. Et puis ses cheveux aussi. Ils sont blancs et...
    — Blancs ? Comment est-ce possible ?
    L’Overland franchit le champ de force qui isolait la cité du reste de la planète dévastée. Sous la coupole virtuelle, la vie des hommes évolués s’était organisée en habitats verticaux. Le véhicule de police survola les rues, et les avenues encombrées de glisseurs à la queue-leu-leu. Un éclairage urbain intense pouvait faire croire qu’on était en journée. De très nombreux citoyens marchaient sur les immenses trottoirs, tous vêtus identiquement. Les deux hommes considéraient avec condescendance cette masse grouillante depuis leur véhicule volant. Ils jouissaient du privilège de ciel octroyé aux élites et à la police. Ils voulaient oublier qu’une fois leur service fini, ils retourneraient à la masse des rampants. Ils survolèrent un immense parc planté d’arbres gigantesques baignés d’un grand lac. Ils arrivèrent au central de police et l’Overland fut guidé jusqu’à leur unité.
    Ils escortèrent le prévenu à travers les couloirs immenses du complexe, croisant des centaines de regards intrigués par l’allure du personnage. Ils l’introduisirent dans un bureau. Un homme se tenait près d’un pupitre holographique.
    — Salut Hal, fit Tanco. Vise un peu ce qu’on t’amène !
    L’homme porta son regard sur l’individu.
    — Salut les gars, je viens de consulter votre rapport...
    Il s’approcha de l’homme qui jetait des regards apeurés autour de lui.
    — D’où tu sors toi ? Réponds ? Décline ton identité ?
    L’homme ne répondit pas, pétrifié par la peur.
    — Je l’ai passé au scanner dans l’Overland, dit Gilbario. Il n’a pas de puce d’identification. Et il n’en a jamais eu !
    — Comment ça jamais eu ? Halbusian ouvrait des yeux ronds.
    — Pas de bio implant dans le cou, pas de code de génémère. On dirait... Un naturel.
    Halbusian et Tanco croisèrent leurs regards et éclatèrent de rire.
    — Sacré Gilbario, fit Hal. Un Naturel. Tu l’as sorti de tes fouilles ? Le dernier naturel connu date de trois mille ans.
    Il s’approcha de l’homme et s’adressa à lui en adoucissant sa voix.
    — Est-ce que tu comprends ce que je dis ?
    L’homme visiblement ne comprenait pas ce langage.
    — Il faut communiquer avec lui par bio-neuronique, fit Gilbario. A moins que...
    Il s’adressa à l’homme dans un étrange langage.
    — « Quel est ton nom ? »
    Les yeux de l’inconnu s’allumèrent d’une lueur d’espoir.
    — « Je m’appelle Adrien Lormeau. Je suis né à Nevers le 18 octobre 1855. J’ai 63 ans ! », débita-t-il, telle une mitraillette.
    Gilbario n’en croyait pas ses oreilles. Il avait à peu près compris la réponse de l’homme.
    — Qu’est-ce qu’il raconte ? , le pressa Halbusian.
    — Il dit qu’il a plus de 3000 ans. C’est un français. C'est-à-dire un des habitants de cette terre sur laquelle nous vivons et qui s’appelait France.
    — C’est n’importe quoi !, s’exclama Tanco.
    — Ah oui ? Et comment expliques-tu qu’il parle couramment un langage qui vient du fond des temps ? Un langage que je maîtrise à peine à partir de quelques documents retrouvés dans les fouilles. Regarde ses vêtements. Et surtout, le vieillissement de son corps. Il n’a pas été stoppé. Sûr ! Il n’a pas été crée par une génémère !
    Gilbario fit assoir l’homme et lui fixa un récepteur bio-neuronique. Alors s’engagea un dialogue qui laissa stupéfaits les trois policiers.
    L’homme expliqua être allé la veille, visiter son frère. Arrivé de nuit à la gare, il avait fini le trajet à pied. Une intense lumière l’avait soudain enveloppé et il s’était senti happé vers le ciel. Il avait aperçu une 'énorme maison volante' avant de perdre conscience. Il s’était réveillé dans le marécage où on l’avait découvert. Il s’était mis à courir devant lui complètement affolé.
    — Vous croyez ces fadaises ?, fit Tanco.
    — Je sais !, dit Gilbario. Il a été enlevé par des Aliens ! Ils l’ont emmené très loin. Sûrement pour l’étudier. Puis ils l’ont ramené. Avec la loi de la relativité, plus de trois mille ans se sont écoulés sur terre et quelques heures pour ce pauvre homme. C’est incroyable !
    —Tu veux dire que c’est un fossile vivant ?
    — Oui ! , s’enthousiasma Gilbario. Grâce à lui nous allons apprendre pleins de choses sur ces temps révolus. J’ai hâte de le présenter au comité.
    Il n’en eut pas le temps. Deux jours plus tard, Adrien était pris de fortes fièvres et décédait rapidement de complications pulmonaires. Comme la totalité des habitants de la cité d’ailleurs. L’humanité n’utilisait plus depuis longtemps les médicaments. Ceci depuis que les génémères avaient introduit toutes parades aux maladies dans le génome de leurs progénitures. Toutes parades aux affections connues mais incapables de contrer la propagation, dans les organismes, de bactéries vieilles de trois mille ans. Mais Adrien avait transmis un autre héritage à ses lointains descendants : Un virus qui avait terrassé la population et donné le champ libre à l’attaque de ces bactéries. Un virus qu’on avait appelé en d’autres temps, la grippe espagnole.
    ShortEditions


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