• - JOURNAL D'UN BRANCARDIER EN 1914

    Originaire d’Arfons (Tarn) et rappelé le 2 août 1914, le caporal Gaston Durand-Gorry est affecté comme

    brancardier au 214e régiment d’infanterie de Toulouse. Dans son « Journal de guerre 1914-1918 »,

    à ce jour inédit, il raconte la découverte de l’épreuve du feu dans la Meuse, au début de la guerre. Extraits

    Un brancardier dans le chaos d’août 1914

     

     

    - JOURNAL D'UN BRANCARDIER EN 1914

     

    Début août 1914, Gaston Durand-Gorry a 25 ans. Issu d’une famille

    d’Arfons, en mo n t a g n e Noire dans le Tarn, licencié en droit, il commence une carrière dans l’administration de l’enregistrement, des domaines et du timbre lorsqu’il est rappelé à Toulouse, où il a effectué son service militaire de 1910 à 1912. De Toulouse, il est dirigé avec le 214e régiment d’infanterie en train vers le nord-est du pays.

     

    Le « désordre » à l’approche du front 

     

    17 août : Le régiment traverse Sainte-Menehould et Valmy. Nous laissons derrière nous le monument élevé à la gloire de l’armée révolutionnaire pour cantonner à Clermont-en-Argonne, dans la Meuse.

    22 août : Le régiment suit une grande route entre deux rangées d’arbres (…). Des fantassins viennent à notre rencontre (…). L’officier, un sous-lieutenant, le front bandé, est soutenu sur un cheval par un de ses soldats. Ils s’arrêtent. La cinquantaine d’hommes qui suit est ce qui reste d’une compagnie du 155e régiment d’infanterie. Elle a été décimée dans le courant de la journée, vers Spincourt au cours d’une charge à la b a ï o n n e t t e d a n s l e s chaumes. Les survivants sont très las.

    Et maintenant voici, chargées de meubles, des charrettes auxquelles sont attachées des bêtes mugissantes. Les conducteurs civils jurent dans le claquement des fouets, les femmes se lamentent, les enfants crient. Des blessés, juchés sur les voitures, crient : « Hé les gars ! Vengez-vous ! » Certains nous conseillent de ne pas nous cacher derrière des gerbes sur lesquelles l’ennemi tire de préférence. D’autres disent de ne pas nous laisser effrayer par les gros obus qui font un trou dans la terre avec beaucoup de bruit, mais sans mal (…). D’autres groupes de soldats passent. Un d’entre nous s’étonne de ce désordre. Un sergent répond que « c’est toujours ainsi quand on revient de combattre ».

     

    L’« anéantissement » sous les obus

     

    24 août : Au jour, nous reprenons nos emplacements, en soutien de l’artillerie. En prévision du combat, je suis mis à la disposition du médecin du bataillon, le docteur Pince. On entend quelques coups de feu vers la gauche, en avant de la crête. Une balle passe avec un sifflement très doux (…). Nos canons tirent à toute volée. Les servants se démènent autour des pièces (…).

    Ce spectacle nous remplit de joie (…). Mais un son plus grave enfle et craque derrière nous. Un, deux, trois puis quatre jeysers jaillissent du sol, le quatrième au milieu de l’échelon de l’artillerie. Cette fois, on ne peut accuser les obus français (…). D’ailleurs, d’autres projectiles allemands tombent devant nous, balaient le plateau méthodiquement de cinquante en cinquante mètres. Dans le train des batteries se manifeste un certain désordre. Des chevaux sans cavalier courent au hasard, poursuivis par les conducteurs (…). Du bout de tranchée où nous sommes blottis, j’écoute les arrivées et surveille les points de chute. Si par malheur un obus s’abat sur une section, c’est l’anéantissement.

    Maintenant,c’est le village de Senon qui« reçoit ».Les « gros noirs » tombent sur les maisons aux toits de tuiles, d’où montent d’épais nuages rouges. (…). La bataill bat son plein. À chaque instant, nous

    sommes obligés de nous aplatir sur le sol pour éviter les éclats qui vrillent l’air ou se déplacent avec un bruit mou d’ailes (…). Un élément de tranchée coupe le pré. Les fantassins s’y entassent, mutuellement gênés par leur fourniment. Mais l’officier d’état-major reparaît : « En avant, tas de lâches ! » (…) Toujours pêle-mêle, les compagnies sortent à nouveau de leur abri, mais bientôt la ligne oscille, se rompt au centre et les survivants se retrouvent à la lisière du bois. Sur la pente, des corps bleus et rouges restent immobiles, d’autres rampent vers le couvert (…). L’ordre de repli est donné (…). Un médecin militaire arrive avec une voiture d’ambulance : elle est vite occupée au-dedans et au-dessus. Il forme un convoi de blessés susceptibles de marcher, puis se donne six brancardiers avec ordre de les accompagner au village d’Ornes, qui nous a été indiqué comme centre d’évacuation.

     

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    Cibles vivantes

    Je compte et fais encadrer mes 32 blessés et nous partons dans la nuit.

     

    Les « faces terreuses » des blessés

     

    25 août : Dans la grand-rue d’Ornes, vaguement éclairée par des lanternes de charrette, les hommes débandés passent sans direction, seuls ou par groupes, les blessés soutenus par leurs camarades. Pas d’officiers, aucune initiative de la part des soldats, dont le nombre croît (…). Les blessés affluent, amenés à bras sur des fusils, des brancards de fortune, à cheval, sur des voitures de ravitaillement ou des caissons de munitions. Si bien qu’à trois heures du matin les quatre salles sont bondées et ont défilé devant nous les blessés aux jambes, aux bras, à la poitrine et au ventre, ceux-ci heureusement peu nombreux. Paquets de pansements individuels, pansements des musettes de brancardiers, pourtant strictement économisés, tout y est passé et nous sommes démunis de tout lorsque arrivent des majors du 283e avec une voiture médicale et leur personnel.

    Au jour qui se lève, les faces terreuses se creusent davantage. Les hommes se plaignent peu mais, une fois pansés, beaucoup s’endorment écrasés de fatigue, le képi sur les yeux ou la tête sur un bras.

    Les salles une fois pleines, on installe les blessés sur la petite place. À 9 heures, il y a dans ou devant la mairie 300 blessés incapables de marcher, lorsque les gendarmes viennent avertir les habitants que le village doit être évacué (…). Déjà, de gros obus tombent dans les environs (…). Le régiment se reforme entre Maucourt et Gincrey, sur le bord de la route. Les kilomètres s’allongent dans la torpeur. Enfin, à un carrefour, des faisceaux formés montrent leur alternative de fusils et de sacs. Des capotes bleues viennent vers nous. Un camarade m’interpelle : « Tiens, tu n’es pas mort ? »

     

    31 août : Vers deux heures du matin, le régiment fait mouvement sur Dieppe. Une fois de plus, le 214e traverse la Meuse. La chaleur est torride (…). Partout sont dispersés  les vestiges des combats précédents : sacs, effets, cartouchières, armes brisées sont répandus sur la route ou dans les champs.

    - JOURNAL D'UN BRANCARDIER EN 1914

    Dans IPPECOURT (1914)

    EXTRAITS CHOISIS PAR ANTOINE FOUCHET

    (« La Croix ». 0401/14) 

    « - LE PETIT POUCET (PERRAULT)- LA BRETAGNE FACE À LA FRANCE »

  • Commentaires

    1
    vilhelene
    Samedi 11 Janvier 2014 à 23:26

    Bonjour, savez-vous si ce journal de guerre a été publié et ou se le procurer? Je suis intéressée car un membre de ma famille a appartenu à ce même regiment d'infanterie et a perdu la vie pendant la grande guerre,

    merci d'avance

    2
    Dimanche 12 Janvier 2014 à 15:24

    Malheureusement, je ne peux répondre à votre question... Le journal "la Croix", qui publie l'extrait reproduit, dit seulement que la famille lui a permis l'accès au manuscrit... Peut-être que ce journal pourrait vous répondre, mais je pense que ledit "Journal de Guerre" n'a pas été publié. Je le regrette comme vous

    3
    vilhelene
    Lundi 13 Janvier 2014 à 15:31

    Merci pour votre réponse, j'ai contacté la rédaction de La Croix, je vous tiendrai au courant de la suite,

     

     

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