• - LE LION ET LE MOUCHERON

    Le Lion et le Moucheron

    (La Fontaine)

     

     

    - LE LION ET LE MOUCHERON

     

     

    « Va-t’en, chétif insecte, excrément de la terre!  »

    C’est en ces mots que le Lion

    Parlait un jour au Moucheron.

    L’autre lui déclara la guerre.

    « Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de Roi

    Me fasse peur ni me soucie ?

    Un boeuf est plus puissant que toi :

    Je le mène à ma fantaisie.  »

    A peine il achevait ces mots

    Que lui-même il sonna la charge,

    Fut le Trompette et le Héros.

    Dans l’abord il se met au large ;

    Puis prend son temps, fond sur le cou

    Du Lion, qu’il rend presque fou.

    Le quadrupède écume, et son oeil étincelle ;

    Il rugit ; on se cache, on tremble à l’environ ;

    Et cette alarme universelle

    Est l’ouvrage d’un Moucheron.

    Un avorton de Mouche en cent lieux le harcelle :

    Tantôt pique l’échine, et tantôt le museau,

    Tantôt entre au fond du naseau.

    La rage alors se trouve à son faîte montée.

    L’invisible ennemi triomphe, et rit de voir

    Qu’il n’est griffe ni dent en la bête irritée

    Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.

    Le malheureux Lion se déchire lui-même,

    Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,

    Bat l’air, qui n’en peut mais ; et sa fureur extrême

    Le fatigue, l’abat : le voilà sur les dents.

    L’insecte du combat se retire avec gloire :

    Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,

    Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin

    L’embuscade d’une araignée ;

    Il y rencontre aussi sa fin.

    Quelle chose par là nous peut être enseignée ?

    J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemis

    Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;

    L’autre, qu’aux grands périls tel a pu se soustraire,

    Qui périt pour la moindre affaire.

     

    (Le Lion et le Moucheron fable et analysée et expliquée par  B. Van Hollebeke)

    fable analyse et commentée par Chamfort – 1796     

    V. 36. J’en vois deux, etc. tant pis. Une bonne fable ne doit offrir qu’une seule moralité, et la mettre dans toute sou évidence. Au reste , ce qui peut justifier La Fontaine, c’est que ces deux vérités sont si près l’une de l’autre , que l’esprit les réduit aisément à une moralité seule et unique.

     

    Commentaires et analyses par MNS Guillon – 1803  

    (1) Va-t-en, chétif insecte, excrément de la terre. Quelle mer veilleuse variété le poète a su mettre dans ses exordes ! Celui dit Chêne et du Roseau offre quelque rapport avec celui-ci : même orgueil dans le ton avec lequel s’expliquent les divers acteurs. Le Lion joue ici le rôle du Chêne dans cette fable ; mais là le poète a nommé ses interlocuteurs : Le Chêne un jour dit au Roseau. Ici on n’a point encore vu les personnages : à qui s’adresse ce langage insultant, ces expressions pleines du plus orgueilleux mépris? Chétif insecte, excrément de la terre. En peut-on imaginer de plus avilissantes ? On ne le connoît pas encore, ce méprisable ennemi : on le désire , on l’attend, on s’intéresse à lui plus que s’il étoit déjà connu.

    On lit dans une très-belle ode, plus ancienne que nos fables :

    Va-t’-en à la malheure, excrément de la terre , Monstre, etc.

     

     

    Le Lion et le Moucheron, par Grandville

     

    Sur quoi Ménage, par qui elle est citée, observe que cet hémistiche; excrément de la terre, « lui semble trop bas pour un tyran plus haï que méprisé ; ce mot ne signifiant que mouches, vermisseaux et autres créatures imparfaites qui se forment de la corruption de la terre, etc. » (Ménage, sur Malherbe, page 443. Paris, Basbin, 1699). (2) L’autre lui déclara la guerre. Le contraste est frappant : une déclaration de guerre , voilà sa réponse. Pouvoit-on s’y attendre ? Quel puissant intérêt va naître de cette surprise !

    (3) Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi. C’est là son manifeste. On diroit qu’il lui fait grâce encore de lui passer ce titre de roi. Le Romain de Corneille n’est pas plus fier, quand il prononce:

    Pour être plus qu’un roi, tu te crois quelque chose.

    (4) Me fasse peur ni me soucie? M’inspire ou crainte ou respect. Ni l’un ni l’autre. Il y a du raisonnement dans le Moucheron ; il n’y a que de la colère dans le Lion. Les caractères se prononcent : on se prévient involontairement en faveur du plus foible, contre son insolent agresseur. On n’est point fâché de voir humilier une force qui n’est que brutale.

    (5) Un Bœuf est plus puissant. II ne dit point, plus fort ni plus courageux; ce qui seroit contre la vérité. Puissant se dit de la taille, et convient au Bœuf.

    (6) Que lui-même il sonna la charge. Voilà les apprêts du combat. On voit les adversaires en présence: un nain contre un géant ! N’importe, le contraste en est plus piquant. Le poète profite avec adresse du bourdonnement de l’insecte, pour en faire l’accent de la trompette, et le prélude de l’attaque.

    (7) Il se met au large. Comme ces expressions agrandissent le foible adversaire du Lion ! C’est un athlète qui a franchi la barrière pour entrer dans l’arène. Puis prend son temps. Tout est gradué. Le poète fut spectateur du combat avant d’en être l’historien. Prend son temps. Rien n’est donne au hasard, ni à la précipitation. Ces mouvements si bien’ concertés, justifient d’avance la victoire de la prudence sur la force. Fond. Ce simple monosyllabe exprime la rapidité de l’attaque. Rend presque fou. La colère, disent les philosophes , est une courte démence : elle désarme, elle enchaîne le courage , elle le livre sans défense aux coups de l’ennemi.

    (8) Le quadrupède. Le mot animal n’auroit point cette pompe. Ecume, et son œil étincelle , il rugit. Ce sont là les caractères de la fureur. La précision de ces vers n’en est encore que le moindre mérite. Quel feu! quelle vérité dans ces images: on se cache, on tremble à l’environ ! Ainsi dans la Phèdre de Racine ?

    Tout fuit , et sans s’armer ‘un courage inutile , Dans le temple voisin chacun cherche un asile.

    Mais là, cette terreur est l’ouvrage d’un monstre furieux, vomi des abîmes de la mer. Elle est ici l’ouvrage, de qui ? d’un Moucheron. Bien que le lecteur ne l’ignore plus, sa surprise n’en est pas moins une jouissance.

    (9) Un avorton de Mouche ajoute encore à la force du contraste. Ce n’est pas tout : l’invisible ennemi, un avorton s’aperçoit; mais lui, il est si petit, si subtil, qu’il se dérobe à la plus perçante vue. Et rit de voir qu’il n’est griffe ni dent. Il a réussi à armer son ennemi contre lui-même. Les vers qui suivent sont de la plus grande force. Toute cette tirade est parfaite.

    (10) But l’air qui n’en peut mais. Expression commune dans les anciens auteurs. Est-ce que j’en puis mais, (Molière, dans l’Ecole

    des Femmes, Acte V. sc. 4.) Des écrivains en prose , d’ailleurs très estimable l’ont employée. « On brise des chars de triomphe qui n’en peuvent mais , » a dit l’abbé Batteux, ( Cours de Belles-Lettres. T. III. page 144.)

    (11) Le voilà sur les dents. Enfin il n’y a plus de doute sur l’issue du combat. Le plus fort des animaux a succombé sous l’aiguillon d’un insecte. Il est sur les dents. Rien ne manque à l’ignominie de la défaite.

    Voyez dans Florian (Liv. II. fab.14) , une description de la colère du Lion.

    (12) Comme il sonna la charge, il sonne la victoire. Quelle importance ce vers donne au redoutable ennemi ! Seul il suffit à tout; la répétition du mot sonne, le fait voir en tête comme au terme du combat. M. l’abbé de Lille a imité ce vers d’une manière admirable.

    Que j’observe de près ces clairons, ces tambours, Signal de vos fureurs, signal de vos amours, Qui guidoient vos héros dans les champs de la gloire , Et sonnoient le danger, la charge et la victoire.

    ( Géorgiques franc. Chant III. )

    (13) Et rencontre en chemin

    L’embuscade d’une Araignée. La fable change d’action, et devient un second apologue soumis à sa morale particulière : ce qui est contre le précepte de l’unité. Du teste cette fable est si belle, l’intérêt est si animé, si soutenu, la morale résultant de cette duplicité d’action si philosophique, qu’il faut reprocher non à La Fontaine d’avoir manqué à l’art, mais à l’art d’être si sévère. Pour achever l’éloge de ce chef-d’œuvre , qu’on le compare à la fable de Dorat, intitulée : l’Aigle et le Moucheron. C’est |a lutte du bel esprit contre le génie.

    Allant, venant, sifflant, l’écervelé s’en donne ; Âgé d’une minute, il est déjà barbon :

    Il brave le qu’en dira-t-on,

    Et près de son altesse à tue-tête il fredonne.

    Qui ne vit qu’un moment ne peut nuire à personne,

    Et doit vivre du moins comme il lui semble bon :

    Aussi fait-il. Il caracole Sur le bec du roi des oiseaux, Le pique à l’œil, et gaiment le désole, Puis orgueilleusement se perche sur son dos.

    L’Aigle, au lieu de battre de l’aile

    Et de prendre son vol vers la voûte éternelle ,

    Se courrouce mal-à-propos : Il attaque l’insecte, il daigne le poursuivre, Ouvre sa large serre , et perdant la raison,

    A toute sa rage il se livre, etc. Le Lion et le Moucheron…

     

     

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