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    L'Ukraine unie à Moscou pour le meilleur et le pire

     

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    Notre éditorialiste Joseph Savès analyse la crise qui secoue l'Ukraine en la resituant dans la longue durée historique...

     

    Le 21 novembre 2013, le président ukrainien Viktor Ianoukovitch a brutalement interrompu les négociations avec l'Union européenne après que son homologue russe Vladimir Poutine l'eut menacé de représailles économiques s'il les menait à terme. Il est vrai que l'Ukraine est très dépendante de la Russie, avec un commerce qui se développe entre les deux pays bien plus vite qu'avec l'Union européenne asthénique.

     

    Pour les partisans d'une démocratisation à l'occidentale, cette reculade de leur président a fait l'effet d'une douche froide en éloignant la perspective d'une modernisation du pays et de ses institutions. Elle a aussi révolté les ultranationalistes, inquiets du retour de l'Ukraine dans le giron de Moscou. La capitale ukrainienne est donc entrée en ébullition neuf ans jour pour jour après la «révolution orange».

     

    Mariés pour le meilleur et le pire

     

    Aussi appelé «Petite-Russie», l'Ukraine, plus vaste que la France et à peine moins peuplée (45 millions d'habitants), est une partie centrale du monde russe. Kiev est la «mère de toutes les villes russes», selon une formule de son fondateur.

     

    Au demeurant, le pays, qui n'a jamais été indépendant avant le XXe siècle, est l'assemblage de plusieurs régions qui ont connu des histoires très diverses : à l'ouest, la Volhynie et la Galicie (capitale : Lvov), longtemps occupées par la Pologne ou l'Autriche catholiques ; à l'est, des provinces longtemps occupées par les Mongols avant d'être intégrées à la «Nouvelle Russie» de Catherine II, y compris la Crimée et les territoires des Cosaques ; au centre, la région de Kiev, berceau de la nation russe.

     

    Résultat, il compte pas moins de dix millions de citoyens russophones et les liens familiaux et matrimoniaux entre Russes et Ukrainiens demeurent très nombreux.

     

    Il n'empêche que le pouvoir moscovite n'a pas toujours été bienveillant à l'égard des Ukrainiens, qu'il s'agisse des catholiques, tournés vers l'ouest, des Cosaques du sud, perpétuels rebelles, et plus généralement des paysans, plus autonomes que les paysans grands-russes. À l'époque de la dictature soviétique, Staline a infligé à cette paysannerie des souffrances qui dépassent l'entendement et sont assimilées par les Ukrainiens à un génocide, l'Holodomor.

     

    Mais comme dans certains couples qui se déchirent mais persistent à cohabiter, ces difficultés n'ont jamais remis en question la soumission de l'Ukraine à Moscou.

     

    Il a fallu la faillite du communisme soviétique, suivie  de l'implosion de l'URSS en 1991 et de son éclatement pour qu'émerge une Ukraine indépendante, sans guère d'unité nationale, selon les frontières artificielles dessinées soixante-dix ans plus tôt.

     

    Les événements dramatiques de cet hiver 2013-2014 montrent que l'Histoire est en train de rattraper la réalité. Elle re-unit  dans la douleur des communautés qui n'auraient jamais dû être dissociées.

     

    Impossible divorce

     

    Mettons-nous un instant dans la peau d'un Russe de Moscou ou Vladivostok. Il n'est pas concevable pour lui que se dresse un «rideau de fer» entre son pays et l'Ukraine, entre la «Grande-Russie» et la «Petite-Russie». Cela reviendrait à l'isoler complètement entre des mondes plus ou moins hostiles : l'Extrême-Orient chinois, l'Asie centrale turque, l'Europe atlantique.

     

    On n'imagine pas davantage qu'il accepte un «rideau de fer» au sein même de l'Ukraine, entre une partie russophone qui reviendrait dans le giron russe et une partie occidentale, sans réalité historique, qui chercherait sa voie aux côtés d'une Union européenne désargentée et sans leadership. 

     

    Quoi que pensent les Russes de leur président Poutine, de sa brutalité et de son autoritarisme, ne doutons pas qu'ils partagent sa volonté de conserver l'Ukraine - et la Biélorussie, ou «Russie blanche» - dans la sphère d'influence de Moscou. Si certains grands pays comme le Japon peuvent se délecter d'une solitude hautaine, il n'en va pas ainsi de la Russie qui, comme les autres États européens, a besoin d'être entourée d'amis et d'alliés.

     

    Dans ces conditions, il était pour le moins maladroit que les Européens aient pu laisser croire aux Ukrainiens qu'ils pouvaient nouer avec eux un accord d'association tout en multipliant les attaques verbales contre la Russie post-démocratique de Poutine.

     

    Incompréhension occidentale

     

    L'Occident a presque toujours cultivé une grande méfiance à l'égard de la Russie, mi-européenne, mi-asiate. Il est vrai que la seule fois où des relations cordiales se sont établies entre la France et la Russie, elles ont conduit à la Grande Guerre de 1914-1918 ! Faut-il en rester là ? En 1990, les nations riches du G8 ont fait la sourde oreille aux appels à l'aide de Mikhaïl Gorbatchev, avec pour résultat l'implosion de l'URSS et le chaos actuel.

     

    Aujourd'hui, Vladimir Poutine, soucieux de désenclaver son pays, tente de reconstituer autour de Moscou une «Union eurasiatique» douanière, économique... et plus si affinités. L'Ukraine, la Biélorussie, la Géorgie, l'Arménie, la Moldavie, l'Azerbaïdjan et même le Kazakhstan sont sommés d'y adhérer en dépit de ses tares (absence de démocratie et corruption massive).

     

    Le nouveau «tsar de toutes les Russies» dispose de moyens de pression importants avec les réserves de gaz naturel grâce auxquelles il tient à sa merci l'Ukraine, la Biélorussie... mais aussi l'Europe occidentale et plus particulièrement l'Allemagne.

     

    L'Union européenne, qui a perdu beaucoup de sa morgue dans la crise actuelle, a moins que jamais intérêt à se détacher de cette autre Europe. On voudrait que ses dirigeants fassent pour une fois  preuve d'esprit visionnaire et d'audace, qu'ils nouent enfin des relations de bon voisinage avec la Russie et s'abstiennent de toute stigmatisation inutile, qu'ils aident au rapprochement entre Kiev et Moscou et encouragent les deux partenaires à se démocratiser et assainir leur économie en leur offrant la perspective d'un partenariat Est-Ouest profitable à tous. 

     

    À défaut, l'Ukraine risque de sombrer, à la façon de la Biélorussie voisine, vers une dictature personnelle sous protectorat russe. C'est le sens de la sanglante répression des manifestants de la place de la Liberté (Maïdan Nezalejnosti), à Kiev, en ce mois de février 2014.

     

    L'Union européenne peut éviter la tragédie non pas en menaçant Kiev de «sanctions» illusoires et contre-productives mais en se rapprochant de la Russie comme de l'Ukraine et pourquoi pas? de la Biélorussie en vue de les apprivoiser toutes ensemble et les rallier à elle. Rien d'autre, en somme, que le rêve de De Gaulle d'une Europe qui s'étendrait «de l'Atlantique à l'Oural».

     

    Joseph Savès (« LES AMIS D’HÉRODOTE.NET »)

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    KIEV (Cathédrale)

     

     

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