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    VERDUN APOCALYPSE

     

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    (annexe:)

     AVOIR 20 ANS DANS LES TRANCHÉES

     

    LES CARNETS DE GUERRE INÉDITS DU SOLDAT

     

    LOUIS MABILLE DE PONCHEVILLE

     

     

     

    RECIT FRANCETV INFO. "Je ne crains pas la mort mais j’ai peur d’avoir peur" : à Verdun, au cœur des tranchées à travers le journal inédit d'un poilu

     

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    Vous êtes blessé ?

     

     

     

    – C'est vous, mon lieutenant.

     

     

     

    8 avril 1916, au lieu-dit du Mort-Homme, qui n’a jamais aussi bien porté son nom. Louis Mabille de Poncheville revient à peine du gourbi de son lieutenant quand un obus allemand éclate à quelques mètres. Comme dans du Rimbaud, il a deux trous rouges au côté droit – pas au flanc, mais à la jambe.

     

     

     

    Deux petits trous d’un centimètre carré, près du genou.

     

     

     

    Trois semaines plus tôt, dans son journal de guerre, ce jeune sous-lieutenant, qui a survécu à la bataille de Champagne et s’est retrouvé à Verdun pour contenir l’offensive allemande, écrivait : "Je me sentais lassé du front et j’avoue à ma honte que je désirais presque la bonne petite blessure qui m’eût enlevé quelques mois aux ennuis, aux fatigues et ma foi, aux risques des tranchées. Ce n’est pas très beau mais c’est humain."

     Il est servi : il n’a plus de rotule.

     Louis a survécu à sa blessure. Il s’est marié et a vécu jusqu’en 1973. Il a boité jusqu’à sa mort. Il y a quelques mois, son petit-fils, Patrick Descamps, a retrouvé dans un carton sept carnets écrits de la main de son grand-père. Ils racontent la vie de Louis, de l’été 1914 à ce soir d’avril 1916 où un obus manqua l’emporter. Les vingt mois d’un soldat au cœur d’une tuerie jusque-là sans pareille. Les vingt mois d’un jeune homme jeté dans une guerre commencée avec des chevaux et terminée avec des tanks.

     

    Voici son histoire.

     

    Une "bonne petite blessure"

     

     

     

    Cette "bonne petite blessure" ferait presque envie à l’officier qui l’accueille au poste de commandement le plus proche. Louis y passe une terrible soirée. La souffrance se fait plus vive ; il ne peut s’empêcher de guetter avec angoisse le toit de l’abri, une simple tôle qui n’arrêterait pas le moindre obus. L’appétit coupé par la douleur, il boit pourtant une coupe de champagne et accueille plusieurs de ses camarades officiers. La plupart seront morts dix heures plus tard.

     En pleine nuit, on évacue Louis dans des conditions pénibles. Un médecin qui jette un œil à sa jambe lui fait comprendre que cette "bonne petite blessure" pourrait être plus grave que prévu. Aux cahots du brancard succède un transport dantesque en ambulance. Un autre blessé, touché au dos, étendu sur le ventre au-dessus de Louis, a perdu le contrôle de son corps. Fou de souffrance, les bras tombants de chaque côté du brancard, il saisit le visage du jeune homme et le griffe en hurlant. Exaspéré, Louis finit par lui saisir les bras et les cogner violemment contre le bois du brancard : "J’ai honte aujourd’hui de ce mouvement de cruauté qu’excusaient seuls ma propre douleur, mon état de fatigue et d’énervement."

     

     

     

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    Acheminé dans un hôpital de fortune, Louis sent la douleur refluer. Il renonce à son privilège d’officier et laisse passer devant lui cinq hommes plus gravement touchés. Un médecin-major lui enlève ensuite sans difficulté – et sans anesthésie – l’un des deux éclats qui l’ont touché. Pour le second, une opération est nécessaire. Le 9, Louis se réveille la jambe prise dans une gouttière d’acier, sans explications. L’après-midi, il reçoit sur son lit d’hôpital la croix de la Légion d’honneur. Ce qui l’angoisse au possible, et pour cause : la rumeur veut qu’on ne l’accorde qu’aux agonisants.

     

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     Il apprend au passage que son régiment a pour ainsi dire disparu ; ceux qui n’ont pas été tués sont prisonniers au terme d’une offensive soldée par un gain de quelques mètres qui seront perdus le lendemain. Sa blessure – cette bonne grosse blessure – lui a épargné la mort ou la captivité. Fiévreux, la jambe infectée, Louis est évacué du front deux jours plus tard. Les trains sont bondés : on le suspend dans le filet à bagages du wagon qui l’emporte vers Orléans. Sa sœur l’y rejoint peu de temps après. Elle prend la robe d’infirmière pour rester près de lui.

     Il y passe sept mois. Pendant des semaines, tout le bas de son corps reste plongé dans un plâtre gigantesque. Il subira trois opérations lourdes ; à plusieurs reprises, on manque couper la jambe de ce gamin de 20 ans.

     

     

     

    Pendant des semaines, Louis brûle de fièvre sans savoir au juste ce qu’a subi son genou, jusqu’à ce que la réponse tombe enfin : "Je me plaignis au docteur d’avoir mal à la rotule et il me répondit sèchement que je n’avais plus de rotule. Cela me fit un petit choc et l’après-midi j’en pleurai dans mon lit." Il continue d’écrire, comme il le fait depuis deux ans déjà.

     

    "Ils s'installent en maîtres"

     

    Août 1914. Le jeune homme doute peu dans les premiers temps. "J’étais sûr et je le suis encore qu’en ce moment l’armée française fiche une tatouille formidable aux Allemands", écrit-il le 15. Le 23, changement de ton : on apprend que Bruxelles est tombée. Pire, quelques soldats ennemis – des uhlans, des cavaliers armés de lances – ont été faits prisonniers, preuve que l’armée allemande est entrée en France… Si Louis veut d’abord croire qu’il s’agit d’éléments isolés, l’évidence se fait jour : "C’est le coup de chien." Autrement dit, ça va mal.

     Dans Valenciennes, l’inquiétude grandit : "Des quantités de fiacres couverts de bagages se dirigent vers la gare. (…) Ici on s’affole. Père parle d’enterrer les argenteries."

     Un soir, alors que lui et son père se sont éloignés de la ville (sans l’argenterie), la guerre prend soudain un tour concret dans la nuit, au travers d’un son que Louis connaîtra vite par cœur. "Au milieu d’un silence parfait, debout sur la route, nous avons entendu le bruit lointain de sourdes détonations…" Ce sont les obus des deux plus grandes artilleries d’Europe qui s’affrontent à quelques kilomètres de là.

    Tandis que ce martèlement sourd s’intensifie d’heure en heure, quelques "aéroplanes" allemands survolent la gare de Valenciennes, indifférents aux pauvres tirs des gendarmes impuissants. Les premiers réfugiés affluent, fuyant les zones frontalières envahies. Des Belges mais aussi quelques Français que les Valenciennois saoulent de questions.

     

     Les carnets de Louis Mabille de Poncheville. 

     

    Les carnets de Louis Mabille de Poncheville.  (ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO)

     

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    Le 25 août, Louis écrit: "J’entends le pas des Prussiens qui défilent sous ma fenêtre." Il veut encore y croire, mais "non, ils n’ont pas l’air d’une bande de fuyards ; non, ils ne font pas que traverser la ville. Ils s’y installent en maîtres."

     Trois semaines après le début de la guerre, Valenciennes est prise. Pendant une longue semaine, la ville est comme morte. Le 1er septembre, les occupants placardent trois affiches. La première ordonne aux commerçants d’ouvrir leurs boutiques sous 24 heures. La deuxième donne trois jours aux Valenciennois pour déposer leurs armes à l’hôtel de ville. La troisième annonce que les maisons inoccupées doivent être déclarées pour y loger les officiers. Parmi elles, celle d’un ami du père de Louis : "Son chauffeur m’a invité à rentrer pour voir comme ces salauds avaient abîmé la maison. Ils ont bu du vin et se sont saoulés comme des cochons. Ils sont montés en crachant sur le tapis de l’escalier. (…) Ils étaient tellement pleins qu’ils ont couché sans se déshabiller…"

     

     

     

    Rapidement, la tension monte. De nouvelles affiches menacent : toute maison qui abriterait des vêtements militaires sera brûlée. Qu’on trouve des armes dans un grenier, qu’on détruise des signaux sur la voie ferrée... Au gré des écarts, les Allemands infligent amende sur amende à la commune de Valenciennes comme aux autres communes du Nord.

     Tandis que les notables raclent les fonds de tiroir pour en régler la moitié et cherchent à négocier le reste, Louis s’abandonne à des rages puériles : "Cette guerre est une chose horriblement vexante. Elle me dérange tout à fait dans mes habitudes. (…) Je serai réduit à ces sottes et insipides discussions de jeunes gens au lieu de ces charmantes conversations avec des jeunes filles… "

     

     

    L’enfant n’est pas loin chez le jeune homme. Il grandira vite.

     

    Le climat se durcit encore. La France cherche par tous les moyens à ramener derrière ses lignes les hommes en âge de se battre. Le bruit court qu’on s’apprête à acheminer en Allemagne tous les jeunes gens de la ville. Le 20 septembre, le père de Louis vient le trouver, affolé : l’opération s’annonce pour le lendemain. "En trois minutes, mes pauvres bagages étaient faits ; j’embrassai Père et Mère et je quittai Valenciennes." Il ne remettra les pieds chez lui que quatre ans plus tard.

     

    "Qui me dit que je ne deviendrai pas un lâche ?"

     Boulogne, Roubaix, Lille… au gré des rumeurs, Louis est promené à travers toute la région, logé par les amis ou la famille. A bicyclette, profitant d’un train qui passe ou sautant dans la voiture d’un proche, il joue au chat et à la souris, persuadé chaque matin d’être raflé le soir. Les réveils à l’aube se succèdent, rythmant la fuite d’un jeune homme qui s’angoisse pour sa mère malade, ses deux frères, Henri et André, au front et son père épuisé. Louis marche dans une atmosphère de fin du monde : "Il avait plu toute la nuit et la route était boueuse. En avant et en arrière, j’apercevais dans le demi-jour des groupes de fuyards. (…) Bientôt le jour se leva tout à fait. Je vis le soleil énorme et rouge surgir lentement des arbres qui masquaient l’horizon…"

     Louis n’a dans tout cela qu’une idée en tête, presque obsessionnelle : faire son devoir au cœur d’une guerre à laquelle il brûle de participer : "On a tous les embêtements, tous les ennuis mesquins et nous n’aurons même pas, après la victoire, la joie d’y avoir contribué." Sa grande terreur, c’est de ne pas pouvoir combattre, de passer après-guerre pour un poltron, un planqué ou, pire, de salir son nom : "Je me sens aussi gêné d’être civil en temps de guerre que si j’étais en treillis dans une soirée."

     

    D’où cette obsession têtue : s’engager au plus vite, de peur que la guerre ne soit achevée avant qu’il ait fini ses classes. Il se fait inscrire sur les listes de la classe 1915. Dans l’attente du départ pour l’école militaire, le jeune homme s’ennuie à cent sous de l’heure. Le 12 novembre, il soupire : "Ah, que cette guerre est longue" – elle n’a pas quatre mois. Le vendredi 13 – il ne faut pas être superstitieux –, Louis part enfin. Promené de Tours à Guéret, il reçoit les premiers rudiments militaires tandis que le front se fige : de la mer du Nord à la Suisse, il s’étend sur près de 700 kilomètres. Trois cent mille Français sont déjà morts au combat.

     

     

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    Brillamment reçu à l’école d’officiers, Louis, qui vient de réchapper à la scarlatine, rejoint en avril 1915 l’école de Saint-Maixent (Deux-Sèvres) avec 900 autres élèves. Il apprend au passage que son frère André, cantonné à Brest, est atteint de fatigue nerveuse – on parlerait aujourd’hui de syndrome post-traumatique. La formation est dure, sévère – et inutile. Encadrés par des instructeurs qui leur braillent dessus pendant des heures, Louis et ses camarades apprennent à… plier leur lit, trois fois par jour. Le jeune Louis hésite ente le rire et l’agacement : "On nous apprit encore à nous grouiller aux rassemblements, à saluer épatamment… Bref, on s’arrangea pour nous dégoûter dès le premier jour."

     

     

     

    Le temps ne calme pas sa déception : "On nous enseignait la guerre en rase campagne, souhaitée par l’état-major, prévue par le règlement et qui devait recommencer incessamment, dès que nous aurions fait la trouée dans les lignes ennemies. On nous instruisit comme on instruisait les élèves de 1913." Autrement dit d’un autre temps. Dans tout ça, Louis s’amuse bien un peu, admirant à la dérobée, comme ses camarades, "une superbe blonde", la fille de son colonel, un orageux méridional moustachu. Les nuits se passent à commettre ou à subir quelques blagues de potaches : renverser les lits des camarades, les arroser d’eau…

     

     

     

    Après trois mois, Louis finit deuxième de sa compagnie et atteint le grade d’aspirant – un futur officier, traité comme tel par les simples soldats.

     

     

     

    En août 1915, l’aspirant Mabille apprend qu’il est nommé au 162e régiment d’infanterie. Le 25 août 1915, il part pour la Marne. Dans le train qui l’achemine vers sa première expérience de combattant, Louis a tout le temps de s’interroger. "Je ne crains pas la mort mais j’ai peur d’avoir peur. Qui me dit que dans cet enfer dont je n’ai aucune notion, je ne deviendrai pas un lâche ?"

     

     

     

    La réponse ne va pas tarder.

     

    "Tout son sang est parti en quelques minutes"

     

    Arrivé à Bisseuil, en Champagne, Louis n’a que peu de temps pour faire connaissance avec ses hommes avant de partir au combat : une cinquantaine de soldats, dont quarante combattants et une dizaine d’hommes affectés à l’intendance. Sa section, la 3e, est composée pour moitié de poilus aguerris, de "braves types un peu frondeurs, mais courageux et dégourdis", et pour moitié de jeunes de la classe 1915. Eux n’ont jamais vu le feu, ce qui convient très bien au jeune officier, toujours angoissé de commander des hommes plus expérimentés que lui.

     A cet endroit de la Marne, les choses sérieuses commencent. L’état-major est toujours persuadé qu’une victoire de grande ampleur est possible sous réserve de percer le front puis d’envoyer des troupes fraîches pour exploiter la trouée. En clair ? "Ça va barder." Louis est aux anges : "J’arrive au bon moment pour le grand coup qui va délivrer la France."

     Le 3 septembre, Louis monte au front pour la première fois, près de Mourmelon. Sa mission ? Consolider les tranchées avant la vaste offensive qu’annonce la rumeur. Casqué, botté, Louis s’équipe pour les nuits déjà froides de septembre : un peu de chocolat, une fiole de fer blanc pleine de mauvaise gnôle.

     

     

     

    Les outils – pelles, pioches – sont distribués à la compagnie qui se met en marche à la tombée de la nuit pour ne pas être repérée. Tandis qu’il approche de la ligne de front, Louis voit monter les fusées éclairantes, rouges pour les Français, blanches pour les Allemands. Il n’y a aucun autre bruit que celui des fusillades et des canons – pas un oiseau n’est resté traîner dans le coin.

     

     

     

    (PATRICK DESCAMPS)

     

     

     

    A 600 mètres de la ligne de feu, les hommes de Louis commencent à consolider un boyau de terre et de craie. "La nuit est belle, étoilée et sans vent, (…) par intervalles, une fusillade éclate et se propage comme une onde le long des lignes, puis s’éteint." A 3 heures du matin, enfin, alors que ses hommes grelottent de froid, la section de Louis est relevée.

     

     

     

    Sa première nuit au front s’est déroulée dans une relative sécurité.

     

    L’enfer est patient.

     Il s’incarne pour l’heure dans le supérieur de Louis, le lieutenant Vandenèghe : "Teint roux, cheveux roux, moustache pisseuse, vulgaire au-delà de toute expression. (…) Cet homme n’a pas seulement contre lui sa vulgarité et ses vices, son ignorance absolue de la langue française mais aussi sa dureté. (…) Il n’a même pas la bravoure et le cran qui, parfois, font oublier de si grands défauts." Bref, un homme charmant.

     

     Les nuits suivantes, Louis et sa compagnie continuent leur travail épuisant chaque fois un peu plus près de la ligne de feu. Le jeune homme, pour prouver son courage à ses soldats, en vient à se comporter comme un imbécile : "Les balles sifflent ; pour montrer aux hommes que je n’ai pas peur, je reste debout sur le parapet alors qu’eux sont à l’abri dans le fond du boyau"…

     

    - VERDUN

     

    Le danger se précise. Un soir, trois obus – parmi le milliard qui s’abattra en quatre ans – tombent à moins de 60 mètres de Louis, précédés d’un bruit de métro entrant à quai. Le 12 septembre, un autre éclate à quelques pas de Louis. Projeté par le souffle contre une paroi, il échappe de peu à l’ensevelissement. Dans l’explosion, Louis a perdu le contact avec ses hommes, qu’il retrouve un peu plus loin "perdus, affolés comme un troupeau de moutons surpris par l’orage. Je les engueule pour avoir foutu le camp."

     

     Alors que les obus tombent tout autour, Louis dirige ses hommes dans une fumée noire et âcre qui les étouffe et les exhorte à approfondir une tranchée d’un mètre à peine. Ils travaillent à genoux pour échapper aux petites abeilles de métal qui passent au-dessus des têtes dans un souffle.

     Vers l’aube, Louis aperçoit trois cadavres sur des civières. "Ce sont les premiers que je vois. L’un d’eux est le sous-lieutenant Sartre, très gentil, bon et brave. Une balle dans la cuisse lui a coupé l’artère, tout son sang est parti en quelques minutes : j’en suis bouleversé."

     La mort vient de faire irruption dans le monde de Louis.

     Elle ne le quittera plus.

     


     

    Le 14 septembre, Louis envoie quelques hommes chercher des pioches au PC. Un obus blesse trois soldats et en pulvérise un quatrième. Parmi eux, le sergent Carvayat. Louis hurle après les brancardiers, se précipite vers lui : le malheureux est touché aux reins. "Je reste penché sur mon pauvre ami (…) que je sens mourir : 'Ah que j’ai mal, mon aspirant'. Ses mains sont froides. Je n’ose pas, pour ne pas l’alarmer, lui offrir d’écrire à ses parents. (…) On l’enlève dans ma couverture : il meurt une heure après, pauvre petit Limousin au regard jeune et franc."

     

     

     

    Le matin du 25 septembre, l’immense assaut commence pour Louis et ses hommes. A moins de 100 mètres, la ligne adverse est pilonnée : "Je vois les positions allemandes bouleversées, semblables à une mer agitée où de grosses fleurs noirâtres surgiraient à tout instant et à tout endroit pour se dissiper en écume. La terre et l’air sont agités d’un tremblement continu."

     

    La seconde bataille de Champagne a commencé.

     

     

     

    Louis bondit à la tête de sa section. "Je pars comme un fou ; devant moi, la terre dévastée, les trous d’obus, des cadavres, des explosions. Je fais vingt mètres et m’aplatis dans un trou d’obus, je me relève pour un nouveau bond, nouvel aplatissement…" En deux jours, Louis prouvera son courage à ses hommes mais surtout à lui-même, stoppant à plusieurs reprises la fuite de sa section affolée, bloquant à l’aide de quelques grenades l’avancée des soldats allemands.

     

     

     

    Il sort de la bataille décoré de la Croix de guerre, bientôt sous-lieutenant. Il n’a pas 20 ans. Il n’a pas le moral non plus : après quatre jours de confusion, d’affolement, de tranchées gagnées et reperdues où l’on risque à chaque instant de tomber sur un ennemi tout aussi perdu, la seconde bataille de Champagne est terminée.

     En quatre jours, elle a fait 28 000 morts et 100 000 blessés du côté français.

     Pour la France, c’est un échec. Pour Louis, la prise de conscience que la guerre sera longue et l’apprentissage de l’indifférence : "Il y a quelques cadavres allemands dans cette tranchée. Dans le bidon de l’un d’eux se trouve du café froid que je bois avec délices. Plus tard, la pensée que j’aie bu le contenu de leurs bidons me fera horreur. Mais toute répugnance m’avait quitté. J’avais tant vu en deux jours de ventres ouverts et de crânes défoncés !"

     


     

    L’armée française panse ses plaies. Les mois qui suivent sont pour Louis un retour à la "normalité". Ses hommes jouent au football entre deux manœuvres avec un ballon que Louis a ramené de permission. La routine en somme, celle des gourbis saturés de rats et de puces, des nuits interrompues par les alertes et par la mort de quelques soldats touchés par une balle perdue, comme ce père de quatre enfants, tué à 22 ans : "Il poussa quelques gémissements et mourut sur la banquette de tir. Il était beau, avec de grands yeux noirs qui respiraient la franchise, excellent soldat. J’eus une vraie douleur de cette mort qui m’eût laissé insensible au moment des attaques, noyée dans le nombre. Mais à cette époque il nous semblait que tout danger fût écarté."

     Tout est relatif, d’autant que l’hiver 1915-1916 ne calme pas les ardeurs des états-majors. Verdun s’annonce.

     Louis fera partie des premiers à y combattre avant d’être blessé le 8 avril par cet éclat d’obus qui lui emportera la rotule.

     Cette "bonne petite blessure".

     La fin de sa Grande Guerre.

    En reprenant ses carnets de guerre en 1927, Louis écrit : "La veille du 25 septembre 1915, j’étais allé dans l’église de Mourmelon. (…) J’avais demandé à Dieu de ne me conserver la vie que si je pouvais plus tard devenir quelqu’un, être utile à mon pays, réaliser enfin mes rêves de jeunesse. Réaliser tous ces rêves, je n’en ai plus l’espoir. Les désirs que l’on a à 18 ans sont trop fous (…). Je serai heureux si mon fils peut se dire que j’ai su profiter de la grâce que Dieu m’a faite en me laissant la vie."

     

     Ce fils, Dominique, a 3 ans lorsque son père écrit ces lignes. Jeune sous-lieutenant et saint-cyrien, il sera tué au combat en Indochine le 12 novembre 1947. Il avait l’âge de son père à la fin de la Grande Guerre.

     23 ans.

     

     

     

     

     

     

     

     

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