• - ELIE WIESEL

    Elie Wiesel, le dernier des justes

    - ELIE WIESEL


    Hommage. Franz-Olivier Giesbert raconte le Prix Nobel de la paix et rescapé de la Shoah. "Le meilleur ami possible", un homme "de tous les combats".
    Par Franz-Olivier Giesbert
    Publié le 06/07/2016 à 06:16 | Le Point.fr
     
    "Elie était humble, noble et généreux, comme les héros de ses romans. Le meilleur ami possible. Une belle personne." © David Coventry

    Voix du monde. L’écrivain Elie Wiesel à Paris, en 2006. © Jean-Paul Guilloteau/EXPRESS-REA

    Elie, c'était d'abord un sourire un peu souffrant sous de grands yeux de poète étonné. Il parlait d'une voix douce et murmurante, parfois chantante, avec l'air de ceux qui ne veulent pas déranger. Il était humble, noble et généreux, comme les héros de ses romans. Le meilleur ami possible. Une belle personne.
    Elie, c'était l'histoire du monde sur un visage qui avait vu l'innommable. S'y lisait la ronde des massacres et des chagrins. C'était très lourd à porter, mais ça ne l'empêchait pas de se tenir droit debout, d'aimer croquer la vie, de s'amuser des potins et d'être docteur ès blagues juives ou autres. Il n'était jamais dans la plainte, toujours dans l'indignation. Nuance.
    Né en 1928, à Sighet, en Transylvanie, dans l'ancien royaume de Roumanie, Elie semblait sortir d'un roman d'Isaac Bashevis Singer, le grand écrivain ­yiddish, qui a peuplé ses romans souvent pittoresques de personnages fluets, dotés d'une force intérieure incroyable. Il dégageait, il n'avait jamais peur de rien.
    Suis-je mal parti ? Elie avait beaucoup d'humour, politesse des modestes, et, après avoir écrit les premiers paragraphes de cette sorte d'éloge funèbre, je l'entends déjà se marrer dans son ciel : « Arrête ces ­bêtises tout de suite, mon vieux, c'est ridicule, je n'ai ­jamais été qu'un homme parmi d'autres, le maillon d'une chaîne. Parle plutôt des autres, des martyrs, ça sera beaucoup plus intéressant. »



    Amitié. Avec le président François Mitterrand en 1986, l’année où il reçoit la prix Nobel de la paix. © Retro/SIPA


    Moins autocentré qu'Elie, ç'aurait été dur à trouver. Le survivant d'Auschwitz était la preuve que le Talmud dit vrai : « Qui recherche la grandeur, la grandeur le fuit ; qui fuit la grandeur, la grandeur le suit. » Il n'était pas égotique mais, si j'ose dire, ethnotique. Avec ça, universel et internationaliste, à tu et à toi avec Barack Obama comme avec le « petit roi de ­Jordanie », qu'il adorait. Au nom de son peuple, il s'adressait au monde entier.
    Mais mieux vaut briser là, car Elie risquerait de se fâcher tout rouge, dans son ciel, si je continuais sur ce ton. En plus, concédons-le, il faut toujours se méfier des hommages. À travers ses louanges, chacun tente narcissiquement de s'approprier le défunt et, du coup, le réduit ou le rapetisse.
    Devant la célébration unanime qui a salué sa mort, Elie Wiesel aurait sans doute haussé les épaules. Mais c'est le signe qu'il va manquer à tous. Car il fut bien plus qu'un écrivain, un philosophe ou un professeur (à l'université de Boston). Il fut une leçon de vie, un lanceur d'alertes, l'œil de Caïn, l'Hercule de la mémoire, l'Attila de l'oubli, cette « maladie collective », avec en plus quelque chose de mystique qui nous dépassait tous.
    De tous les combats
    À lui tout seul, avec son petit corps frêle, Elie Wiesel incarnait l'affreux XXe siècle et le transcendait en même temps. Il était devenu une colère et un remords perpétuels, au ­service de tous les damnés de la terre.
    Oui, de tous les damnés, je persiste et je signe. Avec sa femme, Marion, et sa Fondation pour l'humanité, Elie Wiesel était de tous les combats. Pour les juifs, mais aussi pour les Arméniens, les Tutsis, les Roms, les Indiens du Nicaragua, et tant d'autres. Toutes les victimes du monde, palestiniennes comprises, pouvaient compter sur lui. Il les défendait avec véhémence.
    « Nous devons toujours prendre parti, a-t-il dit un jour. La neutralité aide l'oppresseur, jamais la victime. Le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté. »
    Pas du genre à mégoter, il tenait toujours ferme sur ses principes. En 1985, lors d'une visite officielle en République fédérale allemande, le président ­Ronald Reagan en a fait la cruelle expérience. Il avait prévu de se rendre avec le chancelier Helmut Kohl au cimetière militaire de Bitburg, où étaient enterrés 49 Waffen-SS, pour célébrer le 40e anniversaire de la fin de la guerre. Dans un premier temps, aucun déplacement dans un camp d'extermination n'avait été envisagé. Ire d'Elie ­Wiesel, celle de la vérité contre le pouvoir, avant que Reagan ne cherche un compromis.



    Shoah. Le 16 avril 1945, le camp de Buchenwald vient d’être libéré par les Américains. Parmi les survivants, Elie Wiesel, 16 ans  (médaillon). © AP/SIPA


    Après la polémique, Elie Wiesel s'était ainsi ­défini devant les journalistes : « Non, non, je ne suis pas un moraliste. Je suis un professeur. Je suis un conteur. J'ai les mots. Rien d'autre. Je ne représente personne. Tout ce que j'ai fait fut de donner les mots au président. »
    Même s'il était naturalisé américain et vivait à Manhattan, Elie Wiesel restait un écrivain français puisque, chose peu connue, il écrivait le plus souvent dans notre langue et continuait de suivre avec passion la vie parisienne, dont il connaissait les ­secrets. C'est la France qui l'avait accueilli à la sortie des camps, et il avait fait des études de philosophie à la Sorbonne avant de se lancer dans le journalisme, la littérature et l'enseignement.
    À partir de sa déportation à Auschwitz puis à Buchenwald, Elie Wiesel construisit une œuvre immense où l'on trouve des essais comme Célébration talmudique, des romans comme Le Cas Sonderberg ou des Mémoires comme Tous les fleuves vont à la mer. Au sommet de la montagne culmine La Nuit, un chef-d'œuvre, et je pèse mes mots.
    La Nuit raconte, à l'os et sans pathos, la vie dans les camps de la mort où, à 15 ans, Elie Wiesel perdit sa mère, son père et l'une de ses trois sœurs. Il rama beaucoup pour faire publier ce récit, qui serait peut-être encore dans un tiroir s'il n'avait un jour croisé le chemin de François Mauriac, son bienfaiteur, saisi par ce texte extraordinaire.
    « Où est Dieu ? »
    Malgré la préface de Mauriac, la parution de La Nuit, en 1958, passa à peu près inaperçue, avec 3 000 exemplaires vendus. Certes, les consciences avaient commencé à se réveiller, grâce notamment à Nuit et Brouillard, le film d'Alain Resnais, mais un grand linceul recouvrait encore les pages les plus noires de la guerre : cachez cette Shoah que je ne saurais voir. C'est peu à peu que ce livre devint le grand classique qu'il est ­aujourd'hui dans le monde entier.
    Une fois qu'on a lu La Nuit, la vie n'est plus ­jamais pareille. Notre regard sur les hommes, non plus. Il y a des phrases qui s'impriment à jamais dans nos têtes, comme celle-ci : « Personne n'implorait l'aide de personne. On mourait parce qu'il fallait mourir. On ne faisait pas de difficultés. » Il y a aussi des images hallucinantes. Par exemple, cette exécution publique où un beau garçon aux yeux tristes est si léger qu'il met une demi-heure à mourir au bout de sa corde. « Où est Dieu ? » chuchote un déporté. « Le voici, répond la voix intérieure d'Elie. Il est pendu ici à cette potence. »
    On ne guérit jamais de son enfance. Elie Wiesel ne s'était jamais remis des camps ni, surtout, de la mort de son père à Buchenwald. Il ne pouvait jamais en parler sans que ses yeux se mouillent. Dans La Nuit, il raconte comment il veilla son père, malade de la dysenterie, qui, d'une voix plaintive, le suppliait de s'approcher et de lui apporter de l'eau. Comme il ne cessait d'en réclamer, un officier lui donna un grand coup de matraque qui lui ensanglanta la tête.
    La dernière nuit, le jeune Elie, tétanisé, resta sourd aux appels paternels et ne bougea pas un doigt, de peur d'enfreindre la loi SS. Le lendemain matin, quand il se réveilla, son père était mort. Si vous n'avez pas encore lu ce livre, je vous plains et je vous envie en même temps.
    Rien ne résume mieux Elie Wiesel que le titre du roman magnifique (hélas trop méconnu) d'André Schwarz-Bart, Le Dernier des justes, qui, à travers un destin, raconte l'histoire du peuple juif. Rien ne résume mieux non plus les combats de sa vie que cet enseignement du Talmud : « Le monde se maintient par trois choses : par la vérité, par la justice et par la concorde… Toutes les trois ne sont qu'une seule et même chose. »
    On pourrait leur donner le nom d'Elie.
    Un homme
    30 septembre 1928 Naissance à Sighet, en Transylvanie (Roumanie).
Mai 1944 Déportation à Auschwitz (Pologne), à 15 ans, puis à Buchenwald (Allemagne). Il perd ses parents et l'une de ses sœurs.
1945 A la Libération, il est accueilli en France par l'Œuvre de secours aux enfants. Après des études de philosophie à la Sorbonne, il devient journaliste et écrivain.
1956 S'installe aux Etats-Unis.
1958 Publication de son premier livre, La nuit, sur son expérience de la Shoah.
1963 Devient citoyen américain. ­Enseigne à l'université de Boston. 
1986 Prix Nobel de la paix.
2 juillet 2016 Mort à New York, à l'âge de 87 ans.

    (SOURCE : LE POINT)

    - ELIE WIESEL

    « M.ROCARD (suite et fin)- VIEILLIR »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :