• - 14/18 : L'ARGONNE

    La terre garde les stigmates des combats

     

    - 14/18 : L'ARGONNE

    Le boyau de Londres dans la forêt de VERDUN 

     

     

    FORÊT D’ARGONNE (Ardennes, Marne et Meuse)

    (De notre envoyé spécial)

     

    Pour le commun des marcheurs, cette ligne droite a l’allure d’un étroit chemin couvert de feuilles mortes, dans un sous-bois humide encombré de branchages.

    Pour Yves Desfossés, ce sillon est surtout la trace laissée par une ancienne voie de chemin de fer. « Et là, l’espace dégagé, c’était une plate-forme », poursuit-il en avançant sur un sol qu’il a arpenté bien souvent.

    Conservateur régional de l’archéologie en Champagne-Ardenne, il y dirige chaque été, depuis cinq ans, une fouille dans ce qui était le Borrieswald, un camp de troisième ligne où venaient se reposer des soldats allemands.

    Trois mille personnes y vivaient dans une espèce de petite ville construite près d’Apremont (Marne), en pleine forêt d’Argonne, un massif peu peuplé s’étalant des Ardennes à la Meuse, en passant par la Marne. « Pour nous, c’est un terrain de jeu idéal, souligne l’archéologue passionné de la « der des der » (1). Ici, les cicatrices de la guerre n’ont pas été remblayées comme à la périphérie des villes ou dans les secteurs rendus à l’agriculture. » De la main, il montre un vaste amphithéâtre naturel, situé sur un versant à l’abri des bombardements. Sur trois niveaux, des alvéoles creusées dans les talus, anodines pour le quidam, signalent l’emplacement d’une centaine de cabanes en bois aujourd’hui disparues.

    Même si les lieux ont été pillés par des amateurs d’objets militaires, les chercheurs dûment agréés par le ministère de la culture dénichent encore des pièces intéressantes. Uniformes et chaussures, mais aussi dallage d’une écurie, cartes postales taillées dans de l’écorce de bouleau, cornières de métal, ampoules de novocaïne utilisées par des dentistes, vaisselle du mess des officiers… « Cela nous renseigne sur ce qui n’apparaît pas forcément dans les livres d’histoire, la vie quotidienne des soldats », commente Yves Desfossés. Sur d’autres sites, au gré de chantiers de terrassement ou de fouilles, des vestiges resurgissent également. Parfois, ce sont de simples mots, gravés par des mains anonymes sur la pierre des souterrains.

    Parfois, aussi, ce sont des dépouilles.

    La guerre a fait neuf millions de morts. Sur le seul front ouest, 600 000 n’ont pas été retrouvés : des combattants enterrés dans l’urgence et dont la tombe a ensuite été oubliée ou est devenue introuvable, en raison des bombardements ; des hommes enfouis dans un tunnel effondré ; des corps pulvérisés et éparpillés par des

    obus… Au cours de sa carrière, qui l’a d’abord conduit dans le Nord-Pas-de-Calais, le conservateur champenois en a exhumé régulièrement (2). « Et encore, on n’a pas le droit de les chercher volontairement, ce ne sont que des découvertes fortuites », précise-t-il.

    Ces moments restent particuliers, même pour des professionnels habitués à l’exercice, comme Frédéric Adam. Cet autre archéologue oeuvre en Lorraine, dont dépend une partie de la forêt d’Argonne. « Je fouille des sépultures qui ont jusqu’à 7 000 ans, témoigne-t-il. Elles sont anonymes, il y a moins d’émotion et plus de distance. Avec celles de la guerre de 14-18, toute une humanité nous saute au visage. C’est une histoire tellement proche. » Employé de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), il est aussi anthropologue dans une unité mixte

    de recherche (UMR 7268 Adés) et intervient pour des actes de médecine légale. Cela a été le cas l’année dernière, quand les corps de 26 soldats ont été exhumés à Fleury-devant-Douaumont (Meuse). Sept ont été identifiés. Pour deux d’entre eux, des descendants ont demandé qu’ils soient inhumés dans leurs régions d’origine.

    Une exception. « Pour les familles, l’important est de savoir où est leur aïeul et ce qui s’est passé, reprend Frédéric Adam. En général, elles préfèrent ensuite que le corps soit rendu à la Nation et enterré avec ses camarades. » Beaucoup plus souvent, la terre relâche des engins de mort. Sur un milliard d’obus tirés entre 1914 et 1918, un quart n’aurait pas explosé. Sans parler des réserves non utilisées…

    Chaque année, malgré les opérations de nettoyage effectué après l’armistice, environ 500 tonnes de munitions diverses continuent d’émerger en France, déterrées par des archéologues, des terrassiers, des forestiers, des agriculteurs ou même des particuliers. « Il y a du travail pour deux générations de démineurs, plaisante Christian Cléret, chef du centre de déminage de Metz. Même dans des champs labourés et relabourés, on en trouve encore. » Rien que dans les trois départements de son ressort (Moselle, Meurthe-et-Moselle et Meuse), 40 à 60 tonnes sont récupérées chaque année, de la simple cartouche à la bombe. À 90 %, il s’agit d’un héritage de la Grande Guerre, de plus en plus délicat à manipuler au il du temps, à cause de la corrosion des matériaux et de la dégradation des produits d’amorçage.

    « Grosses ou petites, toutes sont dangereuses, insiste l’homme de l’art. Elles ont été conçues pour tuer. » Une infime minorité a, en plus, la particularité d’être chimique. En attendant l’ouverture d’une usine de traitement dans l’Aube en principe en 2017 – le projet Secoia (lire La Croix du 12 août 2011) –, ce type de munitions est stocké dans le camp de Suippes (Marne), autre balafre de 14-18. Ce coin de la Marne avait été tellement ravagé qu’il est resté un terrain d’entraînement au tir pour les militaires.

    Les armes chimiques ont parfois provoqué une pollution durable, comme l’a dénoncé l’association Robin des Bois. « C’est vrai, mais il faut faire la part des choses, modère Jean-Paul Amat, professeur émérite à l’université de la Sorbonne, à Paris. Le phénomène est concentré sur des secteurs précis, où il y a eu des amoncellements, et le risque existe surtout quand cela a touché les nappes phréatiques. » Ce géographe est un spécialiste des « forêts de guerre », des espaces boisés restaurés ou créés après le conflit dans des périmètres totalement dévastés par l’intensité des échanges d’artillerie, comme près de Verdun. Autour de la ville, des arbres ont été plantés à la place de parcelles agricoles trop abîmées pour les remettre en culture. Cette forêt fait toujours partie de la « zone rouge » définie par l’État après-guerre pour gérer des hectares à tel point bouleversés et retournés qu’il n’était pas rentable de les « désobuser» pour les exploiter à nouveau, sinon via la sylviculture (2).

    En Argonne, la forêt existait déjà avant 1914 et la nature a repris ses droits sur l’ancienne ligne de front, le long de la Haute-Chevauchée. Mais le sol garde l’empreinte du traumatisme subi. À huit kilomètres du Borrieswald, un réseau de tranchées apparaît toujours.

    Quelques « queues de cochon » en métal, qui supportaient des barbelés, dépassent et les vastes cratères creusés par les explosions de mines laisse deviner à quoi ressemblait l’endroit en 1918. Un paysage autrefois lunaire, désormais tapissé d’herbe, à l’ombre de feuillus et de résineux.

    PASCAL CHARRIER (« La Croix ». 08/01/14) 

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 8 Janvier 2014 à 22:05

    Un lieu d'horreur encore dangereux , mais où la nature a repris ses droits avec la verdure qui repousse .

    Amitiés

    Nicole

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