• - THÉRÈSE DE LISIEUX (II)

    SAINTE THÉRÈSE DE LISIEUX (suite)

     

    - THÉRÈSE DE LISIEUX (II)

     

     

    (Thérèse désire ardemment devenir carmélite – elle n’a que 15 ans ! – Elle va même à Rome solliciter la permission du Pape Léon XIII, mais celui-ci la renvoie à son évêque, qui la juge aussi trop jeune)

     

    Enfin, le 1er janvier 1888, veille de ses quinze ans, elle reçoit une lettre de mère Marie de Gonzague : l'évêque s'en remet à sa décision. Thérèse est donc attendue au carmel mais, ultime délai fixé sur les conseils de Pauline, elle ne pourra entrer qu'en avril, après les rigueurs du carême. Cette attente est une nouvelle épreuve pour la future postulante, qui y voit pourtant une occasion de se préparer intérieurement.

     

    La date de son départ est finalement fixée au 9 avril 1888, jour de l'Annonciation. Thérèse aura alors quinze ans et trois mois. On peut noter qu'à l'époque, une jeune fille pouvait faire sa profession religieuse à dix-huit ans. Il n'était donc pas rare de voir, dans les ordres religieux, des postulantes et des novices ayant à peine seize ans. La précocité de Thérèse, au regard des habitudes de l'époque, n'est donc pas exceptionnelle.

     

     

    Pendant la majorité de la vie de Thérèse de Lisieux, la prieure est mère Marie de Gonzague ; de 1874 à 1882, puis de 1886 à 1893 et de 1896 jusqu'à sa mort en . La prieure, responsable de la communauté, était élue pour trois ans et devait obligatoirement céder sa place tous les six ans. Lorsque Thérèse entre au carmel, mère Marie de Gonzague a cinquante-quatre ans. C'est une femme distinguée, convaincante, et dont le jugement est apprécié par les prêtres de Lisieux. Elle est cependant d'humeur changeante. Jalouse de son autorité, elle l'exerce parfois de façon trop hâtive ou capricieuse, ce qui a pour effet un certain relâchement dans le respect des règles établies.

     

    La période du postulat

    Le postulat de Thérèse commence avec son accueil au carmel, le 9 avril 188811. Dès son entrée, le chanoine Delatroëtte lui rappelle qu'il s'y est toujours personnellement opposé. Cependant, son arrivée a été désirée par de nombreuses sœurs, à commencer par mère Marie de Gonzague. Dès lors, Thérèse ne va t-elle pas trop attirer l'attention sur elle ? Encore si sensible et choyée peu de temps auparavant, réussira-t-elle à s'habituer à ce mode de vie austère ? De plus, avec sœur Agnès de Jésus (Pauline) et sœur Marie du Sacré-Cœur (Marie), les sœurs Martin sont désormais trois dans la communauté. Ne vont-elles pas chercher à recréer l'ambiance familiale des Buissonnets ?

     

    Mais la jeune postulante s'adapte bien à son nouvel environnement. Elle écrira : « Les illusions, le Bon Dieu m'a fait la grâce de n'en avoir aucune en entrant au Carmel : j'ai trouvé la vie religieuse telle que je me l'étais figurée, aucun sacrifice ne m'étonna […] ». Ses deux sœurs aînées veulent s'occuper d'elle comme si elles étaient encore aux Buissonnets. C'est alors Thérèse qui les aide à prendre leurs distances. Elle cherche surtout à se conformer à la règle et aux habitudes du carmel, qu'elle apprend chaque jour avec quatre religieuses novices. Plus tard, devenue assistante de la maîtresse des novices, elle répètera à quel point le respect de la règle est important, faisant de son expérience une maxime : « Quand toutes manqueraient à la Règle, ce n’est pas une raison pour nous justifier. Chacune devrait agir comme si la perfection de l’Ordre dépendait de sa conduite personnelle. » Thérèse affirme aussi le rôle essentiel de l'obéissance dans la vie religieuse : « Lorsqu'on cesse de regarder la boussole infaillible [de l'obéissance] […], aussitôt l'âme s'égare dans des chemins arides où l'eau de la grâce lui manque bientôt. »

     

    Dès le 17 mai, mère Marie de Gonzague écrit d'elle : « […] jamais je n'aurais pu croire à un jugement aussi avancé en quinze années d'âge ! pas un mot à lui dire, tout est parfait ». Pourtant, la mère prieure ne la ménage pas. À chaque rencontre, elle l'humilie d'une façon ou d'une autre, voulant peut-être éprouver sa vocation ou réduire son orgueil. C'est d'autant plus douloureux pour Thérèse qu'elle admire la prieure. Elle aimerait se confier davantage à elle, ou lui demander l'une ou l'autre permission. Elle résiste pourtant à ce désir.

     

    Elle choisit comme père spirituel un jésuite, le père Pichon. Lors de leur première rencontre, elle fait une confession générale, revenant sur tous ses péchés passés. Elle en ressort profondément délivrée. Ce prêtre, qui a lui-même souffert de la maladie des scrupules, la comprend et la rassure. Il lui dit : « En présence du bon Dieu, de la sainte Vierge, et de tous les saints, je déclare que jamais vous n'avez commis un seul péché mortel. » Quelques mois plus tard, le père Pichon part en mission au Canada. Thérèse ne pourra lui demander conseil que par écrit et ses réponses seront malheureusement rares.

     

    Pendant son postulat, Thérèse doit aussi subir quelques brimades d'autres sœurs, en raison de son manque d'aptitude aux travaux manuels. Comme toute religieuse, elle découvre les aléas de la vie en communauté, liés aux différences de tempéraments, de caractères, aux problèmes de susceptibilité ou aux infirmités.

     

    Mais la souffrance la plus vive vient de l'extérieur. Le 23 juin 1888, Louis Martin disparaît de son domicile. Le lendemain, il envoie un télégramme du Havre, sans laisser d'adresse. On le retrouve le 27 juin, dans le bureau de poste du Havre. Il est redevenu lucide, mais sa santé mentale n'en est pas moins affectée. Pour Thérèse, qui a toujours aimé et admiré profondément son père, le coup est douloureux. S'y ajoutent la culpabilité de ne pouvoir être à ses côtés pour l'aider et les rumeurs de la ville dont le carmel se fait l'écho : « Si monsieur Martin est devenu "fou", n'est-ce pas dû au départ de toutes ses filles en religion, surtout de la plus jeune qu'il aimait tant ? » Sur la base des symptômes notés à l'époque, les médecins pensent aujourd'hui que Louis Martin souffrait en fait d'artériosclérose cérébrale.

     

    La fin du postulat de Thérèse a lieu le 10 janvier 1889, avec sa prise d'habit, qui marque son entrée en noviciat. La cérémonie est présidée par l'évêque, Mgr Hugonin. Louis Martin, dont l'état s'est provisoirement stabilisé, peut y assister. Elle porte désormais l'habit des carmélites : la bure brune et le voile (qui est blanc pour les novices). Elle choisit le nom de « sœur Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte Face ».

     

    Le noviciat

    Douze jours à peine après sa prise d'habit, son père a une crise particulièrement grave. Il délire, se croit sur un champ de bataille, empoigne un revolver… Il doit être désarmé de force et est interné à l'asile du Bon Sauveur à Caen. Pour les sœurs Martin, qui ont toujours vénéré leur père, l'épreuve est terrible, voire incompréhensible. Face à tous les commentaires, Thérèse opte pour le silence. Elle s'appuie sur la prière, s'aidant de versets de la Bible. L'analyse graphologique, faite au xxe siècle, de ses lettres la montre dans un état de grande tension, parfois au bord de la rupture.

     

    Dans cette période, elle approfondit le sens de sa vocation : mener une vie cachée, prier et offrir ses souffrances pour les prêtres, oublier son amour-propre, multiplier les actes discrets de charité. Elle qui veut devenir une grande sainte ne se fait pas d'illusion sur elle-même. Elle écrira : « Je m'appliquais surtout à pratiquer les petites vertus, n'ayant pas la facilité d'en pratiquer les grandes. » Elle s'imprègne de l'œuvre de Jean de la Croix, lecture spirituelle peu commune à l'époque, surtout pour une si jeune religieuse.

     

    La contemplation de la Sainte Face nourrit sa vie intérieure. Il s'agit d'une image représentant le visage défiguré de Jésus lors de sa passion. Elle approfondit sa connaissance et son amour pour le Christ en méditant sur son abaissement à l'aide du passage du Livre d'Isaïe sur le serviteur souffrant (Isaïe 53, 1-2). Elle dira « Moi aussi, je désirais être sans beauté, seule à fouler le vin du pressoir, inconnue de toute créature. » Cette méditation l'aide aussi à comprendre la situation humiliante de son père. Elle avait toujours vu ce dernier comme une figure de son « Père du Ciel ». Elle découvre désormais l'épreuve de Louis Martin à travers celle du Christ, humilié et méconnaissable.

     

    Thérèse trouve un réconfort dans l'amitié spirituelle forte qu'elle entretient avec la fondatrice du carmel de Lisieux, mère Geneviève. Celle-ci l'aide et la guide à plusieurs reprises dans sa vie de religieuse. Thérèse en fera plus tard l'éloge : « […] je ne vous ai encore rien dit de mon bonheur d'avoir connu notre sainte mère Geneviève. C'est une grâce inappréciable que celle-là ; eh bien, le Bon Dieu qui m'en avait déjà tant accordé a voulu que je vive avec une « Sainte », non point inimitable, mais une Sainte sanctifiée par des vertus cachées et ordinaires. »E 26 Ainsi, mère Geneviève lui conseille de servir Dieu, « avec paix et avec Joie, rappelez-vous, mon enfant, que notre Dieu, c'est le Dieu de la paix ».

     

    Le 8 septembre 1890, à dix-sept ans et demi, elle fait sa profession religieuse. Cette cérémonie se passe à l'intérieur du carmel. La jeune carmélite rappelle pourquoi elle répond à cette vocation : « Je suis venue pour sauver les âmes et surtout afin de prier pour les prêtres. » Le 24 septembre 1890 a lieu la cérémonie, publique cette fois, de la prise de voile. Son père ne peut y assister, ce qui attriste fortement Thérèse. C'est toutefois, d'après mère Marie de Gonzague, une religieuse accomplie qui prend le voile : « […] cette ange d'enfant a 17 ans et demi et la raison de trente ans, la perfection religieuse d'une vieille novice, consommée dans l'âme et la possession d'elle-même, c'est une parfaite religieuse […] ».

     

    La vie discrète d'une carmélite

    Les années qui suivent sont celles de la maturation de sa vocation. Thérèse prie sans grandes émotions sensibles, mais avec fidélité. Elle évite de se mêler des débats qui troublent parfois la vie communautaire. Elle multiplie les petits actes de charité et d'attention aux autres, rendant de menus services, sans les signaler. Elle accepte en silence les critiques, même celles qui peuvent être injustes et sourit aux sœurs qui sont déplaisantes avec elle. Elle essaie de tout faire, y compris les plus petites choses, par amour et avec simplicité. Elle prie toujours beaucoup pour les prêtres, et particulièrement pour le père Hyacinthe Loyson, célèbre prédicateur qui a été excommunié en 1869 et a ensuite quitté l'Église catholique.

     

    L'aumônier du carmel, l'abbé Youf, est un homme scrupuleux, qui insiste beaucoup sur la peur de l'enfer. Des prédicateurs de retraites spirituelles partagent le même défaut. Cela n'aide pas Thérèse qui vit, en 1891, de « grandes épreuves intérieures de toutes sortes ». Mais la retraite d'octobre 1891 est cette fois prêchée par le père Alexis Prou, qui insiste sur la miséricorde, la confiance et l'abandon entre les mains d'un Dieu aimant. Cela confirme Thérèse dans ses intuitions profondes. Elle écrira : « Il me lança à pleine voile sur les flots de la confiance et de l'amour qui m'attiraient si fort mais sur lesquels je n'osais avancer. »

     

     

    Sa vie spirituelle se nourrit de plus en plus des Évangiles, qu'elle porte toujours sur elle. Cette habitude n'était pas courante à l'époque. On préférait lire les commentaires de la Bible que de se référer directement à cette dernière. Thérèse y cherche directement « la parole de Jésus », qui l'éclaire dans ses oraisons et sa vie quotidienneD .

     

    Élection de mère Agnès

    En 1893, mère Marie de Gonzague arrive au terme de son deuxième mandat consécutif de prieure. Elle ne peut donc se représenter. C'est Pauline, sœur Agnès de Jésus en religion, qui est élue, le 20 février 1893, prieure du carmel pour trois ansD 80. Cette situation n'est pas des plus faciles pour Pauline, désormais appelée mère Agnès, et ses sœurs. Mère Marie de Gonzague compte toujours exercer son influence. De plus, le chanoine Delatroëtte encourage publiquement mère Agnès à se laisser conseiller par l'ancienne prieure. Elle devra donc se montrer particulièrement diplomate. En outre, elle ne doit pas donner l'impression qu'elle pourrait favoriser ses deux sœurs, Marie du Sacré-Cœur et Thérèse.

     

    Mère Marie de Gonzague devient pendant cette période maîtresse des novices. Mère Agnès demande à Thérèse de l'aider dans cette tâche. Son rôle consiste à apprendre aux novices la vie religieuse. Thérèse se trouve dans une situation délicate. Elle doit à la fois obéir à sa sœur, devenue prieure, et à mère Marie de Gonzague, les deux femmes étant parfois en désaccord. Sa conception de l'obéissance en fait une assistante docile, même si elle n'hésite pas à donner son point de vue, quand on le lui demande. Ainsi, elle donne un avis contraire à celui de mère Marie de Gonzague, qui refusait à l'une des novices de faire profession.

     

     

    En 1894, Thérèse écrit ses premières Récréations pieuses. Ce sont de petites pièces de théâtre, jouées par quelques religieuses pour le reste de la communauté, à l'occasion de certaines fêtes. Sa première création est consacrée à Jeanne d'Arc, qu'elle a toujours admirée, et dont la cause de béatification vient d'être introduite. Son talent pour l'écriture étant reconnu, d'autres pièces lui seront confiées, dont une seconde sur Jeanne d'Arc, réalisée en janvier 1895. Elle écrit également des poèmes spirituels à la demande des autres religieuses.

     

    Au début de cette même année, elle commence à être prise de maux de gorge et de douleurs dans la poitrine. Malheureusement, mère Agnès n'ose pas faire appel à un autre médecin que le docteur de Cornière, grand ami de mère Marie de Gonzague, et médecin officiel de la communauté. Le cousin par alliance de Thérèse, Francis la Néele, médecin à Lisieux, ne peut donc l'examiner.

     

    Le 29 juillet 1894, Louis Martin décède. Toujours malade, il était gardé et soigné par Céline, sa quatrième fille. Celle-ci pense aussi, depuis plusieurs années, au carmel. Soutenue par les lettres de Thérèse, elle a entretenu ce désir de se consacrer à Dieu malgré deux demandes en mariage. Céline hésite pourtant encore entre la vie de carmélite et une vie plus active, au service d'une mission menée par le père Pichon au Canada. Finalement, suivant le conseil de ses sœurs, elle choisit le Carmel. Elle rentre au carmel de Lisieux le 14 septembre 1894. En août 1895, les quatre sœurs Martin seront rejointes par leur cousine, Marie Guérin.

     

    Découverte de la « petite voie »

    Thérèse est entrée au carmel avec le désir de devenir une grande sainte. Mais, fin 1894, au bout de six années, force lui est de reconnaître que cet objectif est pratiquement impossible à atteindre. Elle a encore de nombreuses imperfections et n'a pas le charisme de Thérèse d'Avila, Paul de Tarse et tant d'autres. Surtout, elle qui est très volontariste, voit bien les limites de tous ses efforts. Elle reste petite et bien loin de cet amour sans faille qu'elle voudrait pratiquer. Elle comprend alors que c'est sur cette petitesse même qu'elle peut s'appuyer pour demander l'aide de Dieu. Dans la Bible, le verset « Si quelqu'un est tout petit, qu'il vienne à moi ! » (Livre des Proverbes, ch.4, verset 9) lui donne un début de réponse. Elle qui se sent si petite et incapable peut se tourner vers Dieu avec confiance. Mais alors, que va t-il se passer ? Un passage du Livre d'Isaïe lui donne une réponse qui l'encourage profondément : « Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous balancerai sur mes genoux. » (Livre d'Isaïe, 66, 12-13) Elle conclut que Jésus lui-même va la porter au sommet de la sainteté. Elle écrira : « l'ascenseur qui doit m'élever au ciel, ce sont vos bras, ô Jésus ! Pour cela, je n'ai pas besoin de grandir, au contraire, il faut que je reste petite, que je le devienne de plus en plus. »

     

    La petitesse de Thérèse, ses limites deviennent ainsi motifs de joie, plus que de découragement. Car c'est là que va s'exercer l'amour miséricordieux de Dieu pour elle. Dans ses manuscrits, elle donne à cette découverte le nom de « petite voie ». Dès février 1895, elle va régulièrement signer ses lettres en ajoutant « toute petite » devant son nom. Jusque là, Thérèse employait le vocabulaire de la petitesse pour rappeler son désir d'une vie cachée et discrète. À présent, elle l'utilise aussi pour manifester son espérance : plus elle se sentira petite devant Dieu, plus elle pourra compter sur lui.

     

    C'est aussi pendant cette période qu'elle commence, à la demande de mère Agnès, d'écrire ses mémoires. Elle poursuit également l'écriture de pièces de théâtres et de cantiques, dont le plus connu est Vivre d'amour.

     

    Offrande à l'amour miséricordieux

    Le 9 juin 1895, lors de la fête de la sainte Trinité, Thérèse a l'inspiration soudaine qu'il lui faut s'offrir en victime d'holocauste à « l'amour miséricordieux ».

     

    En août 1895, les quatre sœurs Martin sont rejointes par leur cousine, Marie Guérin. En octobre, un jeune séminariste, l'abbé Maurice Bellière, demande au carmel de Lisieux qu'une religieuse soutienne, par la prière et les sacrifices, sa vocation missionnaire. Mère Agnès désigne Thérèse, qui, ayant toujours rêvé d'avoir un frère prêtre, en est ravie. Elle multiplie les petits sacrifices qu'elle offre pour la mission du futur prêtre, et l'encourage par ses lettres. Et, en février 1896, elle connaît une autre joie avec la profession religieuse de sa sœur Céline (sœur Geneviève, au carmel).

     

    Le 21 mars 1896 a lieu l'élection de la prieure. Après ces trois années où, comme l'imposait le règlement, elle a dû céder la place, mère Marie de Gonzague s'attend à retrouver sa charge de prieure. Mais les élections sont tendues et mère Marie de Gonzague ne l'emporte que de justesse, devant mère Agnès. Émue par ce qui vient de se passer, mère Marie de Gonzague décide de garder, tout en étant prieure, la fonction de maîtresse des novices. Elle choisit, comme adjointe, Thérèse. Celle-ci est, de fait, responsable de la formation du noviciat, sans en avoir officiellement le titre. Les autres novices le savent et, qui plus est, sont en majorité ses aînées. Thérèse vit cette mission délicate avec pédagogie, s'adaptant à la personnalité de chacune, mais sans faire de concession. Elle veut aider les religieuses à devenir de vraies carmélites, même si le prix à payer est d'être jugée parfois trop sévère.

     

    - THÉRÈSE DE LISIEUX (II)

    Vis-à-vis de mère Marie de Gonzague, Thérèse reste dans la plus grande obéissance, accomplissant à la lettre, selon le témoignage d'une de ses novices, « la multitude de petits règlements que mère Marie de Gonzague établissait ou détruisait au gré de ses caprices, règlements instables dont la communauté tenait peu de compte ».

     

    Maladie et nuit de la foi

    Pendant le carême 1896, Thérèse suit rigoureusement les exercices et les jeûnes. Dans la nuit du Jeudi au Vendredi saint, elle est victime d'une première crise d'hémoptysie. Elle signale celle-ci à mère Marie de Gonzague, tout en insistant sur le fait qu'elle ne souffre pas et n'a besoin de rien. Une seconde crise se reproduit la nuit suivante. Cette fois, la prieure s'inquiète et autorise son cousin, le docteur La Néele, à l'ausculter. Celui-ci pense que le saignement a pu provenir de la rupture d'un vaisseau sanguin dans la gorge. Thérèse ne se fait aucune illusion sur son état de santé, mais elle n'éprouve aucune crainte. Bien au contraire, car la mort va bientôt lui permettre de monter au ciel et de retrouver celui qu'elle est venue chercher au carmel : sa joie est à son comble. Elle continue de participer à toutes les activités du carmel, sans ménager ses forces.

     

    Cette période difficile est aussi une période de déréliction, ou « nuit de la foi ». Pendant la semaine sainte 1896, elle entre soudain dans une nuit intérieure. Le sentiment de foi qui l'animait depuis tant d'années, qui la faisait se réjouir de « mourir d'amour » pour Jésus a disparu en elle. Dans ses ténèbres, il lui semble entendre une voix intérieure se moquer d'elle et du bonheur qu'elle attend dans la mort, alors qu'elle avance vers « la nuit du néant ». Ses combats ne portent pas sur l'existence de Dieu, mais sur la croyance en la vie éternelle. Une seule impression en elle désormais : elle va mourir jeune, pour rien. Elle n'en poursuit pas moins sa vie de carmélite. Seuls les cantiques et les poésies, qu'elle continue à composer à la demande des sœurs, laissent entrevoir son combat intérieur : « Mon Ciel est de sourire à ce Dieu que j'adore, lorsqu'Il veut se cacher pour éprouver ma foi. » Les ténèbres ne la quitteront plus et persisteront jusqu'à sa mort, un an plus tard. Pourtant, elle vit cette nuit comme l'ultime combat, l'occasion de prouver malgré tout son indéfectible confiance en Dieu. Refusant de céder à cette peur du néant, elle multiplie les actes de foi. Elle signifie par là qu'elle continue à croire, bien que son esprit soit envahi par les objections. Ce combat est d'autant plus douloureux qu'elle a toujours manifesté son désir d'être active et de faire beaucoup de bien après sa mort.

     

    À partir de mai 1896, à la demande de mère Marie de Gonzague, Thérèse parraine un second missionnaire : le père Roulland. Sa correspondance avec ses frères spirituels est l'occasion de développer sa conception de la sainteté : « Ah ! Mon frère, que la bonté, l'amour miséricordieux de Jésus sont peu connus !… Il est vrai que pour jouir de ces trésors, il faut s'humilier, reconnaître son néant, et voilà ce que beaucoup d'âmes ne veulent pas faire. »

     

    En septembre 1896, Thérèse éprouve toujours de nombreux désirs : elle veut être à la fois missionnaire, martyr, prêtre, docteur de l'Église. Elle lit alors les écrits de saint Paul. Dans la Première épître aux Corinthiens, l'hymne à la charité, au chapitre 13, l'éclaire profondément. Comme un éclair qui la traverse, le sens profond de sa vocation lui apparaît soudain : « Ma vocation enfin je l'ai trouvée, MA VOCATION C'EST L'AMOUR !… » En effet, la vocation à la charité englobe toutes les autres ; c'est donc elle qui répond à tous les désirs de Thérèse. « Je compris que l'Amour renfermait toutes les vocations, que l'Amour était tout, qu'il embrassait tous les temps et tous les lieux. En un mot qu'il est Éternel. » Thérèse s'évertue alors, de plus en plus, à vivre tout par amour. De nombreux exemples la montrent cherchant à faire le bien des religieuses, tout particulièrement de celles au tempérament difficile. Le père Rouland lui fait connaître Théophane Vénard. Elle découvre ses écrits en novembre 1896, et Théophane devient pour elle un modèle de prédilection. Elle trouve dans sa correspondance de nombreux points communs avec elle : « Ce sont mes pensées ; mon âme ressemble à la sienne. » Elle recopiera plusieurs passages de Théophane Vénard dans son testament.

     

    - THÉRÈSE DE LISIEUX (II)

    Aggravation de la maladie

    Janvier 1897, Thérèse vient d'avoir vingt-quatre ans et elle écrit : « je crois que ma course ne sera pas longue ». Pourtant, malgré l'aggravation de la maladie pendant l'hiver, Thérèse parvient encore à donner le change aux carmélites et à tenir sa place dans la communauté. Mais au printemps, les vomissements, les fortes douleurs à la poitrine, les crachements de sang deviennent quotidiens et Thérèse s'affaiblit.

     

    En avril 1897, elle subit le contrecoup de l'affaire Diana Vaughan. Celle-ci est connue depuis 1895 par ses mémoires, racontant son passage dans les milieux sataniques, suivi de sa conversion grâce à l'exemple de Jeanne d'Arc. Thérèse, frappée comme beaucoup de catholiques par ce témoignage, et admirative d'une prière composée par Diana Vaughan, lui a envoyé quelques lignes. Et Mère Agnès a joint au courrier une photo de Thérèse jouant le rôle de Jeanne d'Arc. Thérèse a aussi écrit, en juin 1896, une courte pièce de théâtre, s'inspirant de la conversion de Diana Vaughan, et intitulée Le Triomphe de l'humilité. Diana Vaughan vivant cachée, c'est un nommé Léo Taxil, ancien anticlérical, converti lui aussi, qui est son intermédiaire auprès de la presse. Mais, à partir de 1896, on se met à douter de sa sincérité. Léo Taxil annonce alors, pour le 19 avril 1897, une conférence qu'il donnera avec la célèbre jeune femme. Lors de cette séance publique, il révèle que Diana Vaughan n'a jamais existé et que cette histoire est un canular monté de toute pièce. L'assistance est scandalisée. Au carmel, on apprend la nouvelle le 21 avril. Et le 24, Thérèse découvre que la photo la représentant en Jeanne d'Arc a été projetée lors de la conférence. Elle vit cet épisode comme une humiliation, et une épreuve, surtout dans cette période où elle est tenaillée par les doutes.

     

    En juin, mère Marie de Gonzague lui demande de poursuivre la rédaction de ses mémoires. Il lui arrive d'écrire dans le jardin, sur la chaise d'infirme utilisée par son père dans les dernières années de sa maladie, et cédée ensuite au carmel. Son état empirant, elle est placée le 8 juillet 1897 à l'infirmerie, où elle restera pendant douze semaines jusqu'à sa mort.

     

    Se sachant condamnée, et vivant toujours cette nuit de la foi qui la prive de l'impression intérieure d'une vie après la mort, Thérèse n'en continue pas moins de dire, à plusieurs reprises, son espérance. Le 17 juillet, elle confie : « Je sens que je vais entrer dans le repos… Mais je sens surtout que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon Dieu comme je l'aime, de donner ma petite voie aux âmes. Si le bon Dieu exauce mes désirs, mon Ciel se passera sur la terre jusqu'à la fin du monde. Oui, je veux passer mon Ciel à faire du bien sur la terre. »

     

    - THÉRÈSE DE LISIEUX (II)

    Le 17 août, le docteur La Néele examine Thérèse. Son diagnostic est sans appel : c'est une tuberculose au stade le plus avancé, un poumon est perdu et l'autre atteint, les intestins sont touchés. Ses souffrances sont alors extrêmes : « C'est à en perdre la raison. » Puis elles s'apaisent dans une dernière phase de rémission ; Thérèse reprend quelques forces, elle retrouve même son humour. Ses sœurs consignent ses paroles. Elles lui demandent comment l'invoquer quand elles prieront plus tard ; elle répond qu'il faudra l'appeler « petite Thérèse ».

     

    À partir du 29 septembre 1897, son agonie commence. Elle passe une dernière nuit difficile, veillée par ses sœurs. Au matin, elle leur dit : « C'est l'agonie toute pure, sans aucun mélange de consolation. » Elle demande à être préparée spirituellement à mourir. Mère Marie de Gonzague la rassure, lui disant qu'ayant toujours pratiqué l'humilité, sa préparation était faite. Thérèse réfléchit un instant puis répond : « Oui, il me semble que je n'ai jamais cherché que la vérité ; oui, j'ai compris l'humilité du cœur… » Sa respiration est de plus en plus courte, elle étouffe. Après plus de deux jours d'agonie, elle est épuisée par la douleur : « Jamais je n'aurais cru qu'il était possible de tant souffrir ! Jamais ! Jamais ! Je ne puis m'expliquer cela que par le désir ardent que j'ai eu de sauver des âmes. » Vers sept heures du soir, elle prononce ses dernières paroles « Oh ! je l'aime ! … Mon Dieu … Je vous aime … » Elle s'affaisse, puis rouvre une dernière fois les yeux. D'après les carmélites présentes, elle a alors une extase, qui dure l'espace d'un credo, avant de rendre le dernier soupir. Elle meurt le 30 septembre 1897 à 19 h 20, à l'âge de vingt-quatre ans. « Je ne meurs pas, j'entre dans la vie », écrivait-elle dans l'une de ses dernières lettres.

     

    Elle est inhumée le 4 octobre au cimetière de Lisieux, dans une nouvelle concession acquise pour le carmel. Les carmélites ne peuvent quitter le couvent, et c'est un « fort petit » cortège qui suit le corbillard.

     

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