• Pensées Légitimes


    par Rattus Horribilis 

    -  PENSÉES LÉGITIMES

     

    Quand Jacques reçut son courrier de licenciement, il tapa violemment du poing sur la table. L’activité de son entreprise avait sensiblement baissé au cours des six derniers mois de manière incompréhensible. Son chef l’avait convoqué il y a quelques semaines déjà afin de le préparer à cette fatalité, il pouvait ainsi commencer à chercher un autre boulot. Les commandes n’arrivaient plus, les interventions se raréfiaient et s’étaient déplacées bien au-delà de la frontière belge. Pour une raison inexpliquée, les rats avaient apparemment déserté la métropole lilloise et ses alentours. Ces rongeurs voraces qui s’invitaient dans les caves des estaminets du vieux Lille, dans les courées des quartiers délabrés où s’entassaient des tas d’immondices régulièrement calcinés, ou encore dans les égouts afin de se reproduire à l’abri du vacarme et du mouvement incessant de la ville, hibernaient dans des lieux apparemment plus retirés. Cette vie dorénavant invisible des nuisibles fut accueillie par beaucoup d’habitants comme une véritable aubaine. La mairie entre autre fut particulièrement soulagée, des phénomènes d’agressivité chroniques chez les rats avaient entraîné la multiplication des plaintes auprès du service de propreté et d’hygiène de la ville. Seules les sociétés de dératisation pâtissaient réellement de la disparition progressive des rats car elle entraînait une chute importante de leur chiffre d’affaires. Elles n’eurent d’autre choix que de licencier massivement.

Le moral de Jacques était au plus bas. Son métier de tueur de rats peut paraître peu ragoutant, mais il était nécessaire. De voir ces propriétaires d’établissement l’accueillir comme le sauveur lui produisait à chaque fois la même sensation de fierté. Il débarrassait la ville de ses envahisseurs. La règle était simple, il avait pour mission d’exterminer la vermine, tout au moins, celle qui s’aventurait trop loin dans les espaces dédiés à l’intimité humaine. Jacques faisait ce travail depuis presque vingt ans, il a vu croître au sein des villes ces occupants indésirables qui pullulaient et se reproduisaient de manière exponentielle. Il savait à quel point cette espèce était intelligente et capable de s’organiser afin d’occuper un territoire. Les rats n’avaient pas vocation à se confronter aux hommes et quand ils décidaient de sortir de leur anonymat, c’était par nécessité. Seul l’instinct de survie les poussait à violer le pacte intrinsèque à leur tranquillité dans le monde des humains, à eux le monde caché et sous-terrain, aux hommes le monde de la lumière et de l’air libre. Les incidents d’agressivité des derniers mois interloquèrent les spécialistes qui diagnostiquèrent une recrudescence de « mâles dominants » au sein des colonies de rats les plus exposées aux conséquences du tri des déchets dans nos villes. Des « guerres de gang » avec à leur tête, des rats « meneurs », se multipliaient dans les quartiers les plus touchés par la diminution des déchets humains. Des groupes de rats affamés luttaient pour reconquérir de nouveaux territoires. Des rats de taille effrayante osaient défier dans leur quête de nourriture des hommes abasourdis qui pour certains, furent attaqués et mordus jusqu’au sang.

C’est dans ce contexte explosif pour la sécurité des habitants que les rats disparurent progressivement du paysage lillois. Quelques voix s’élevèrent pour alerter sur le caractère étrange de ce phénomène. Mais les incidents des derniers mois poussèrent les autorités à y voir plutôt un soulagement et l’occasion de clore définitivement un dossier qualifié « top secret ». Il annonçait la mise en place d’une communication ainsi que la distribution d’un kit d’auto-défense pour prévenir l’attaque éventuelle des rats dominants dans leur recherche de nouvelles sources d’alimentation. Jacques faisait partie, de par ses fonctions, de ces initiés parfaitement au courant de la situation qui n’aurait pas manqué d’affoler les habitants. Il avait eu cette formation pour utiliser cette flèche paralysante au moyen d’une sarbacane aux couleurs du blason de la ville de Lille et cette seringue miniature qu’il devait s’enfoncer dans la jambe en cas de morsure. Bref, il était paré à affronter cette « catastrophe » volant en tant que bon samaritain au secours des populations. Au lieu de cela, il se retrouva au chômage. Cela renforçait son amertume. Qu’allait-il devenir ? Il n’y avait plus de boulot dans son « bled ». Un autre type de calamité avait sinistré la communauté de communes au sein de laquelle habitait Jacques, la fermeture de la gigantesque usine d’amidon de Lestrem qui occupait quatre mille employés et ouvriers sur un territoire de trente mille personnes. Cette multinationale, leader mondial dans son domaine d’activités alimentait la planète entière de son savoir-faire dans la fabrication des dérivés d’amidon. Un projet de délocalisation avait mis fin à trente années d’exploitation d’un système vertueux sur les terres de Flandres Lys où la production céréalière locale, transformée par la magie du service étude et développement de l’usine, trouvait une nouvelle vie dans des secteurs d’activité aussi variés que les boissons, les confiseries, les médicaments, la cosmétique, le plastique biodégradable...

Une activité prospère qui finit cependant par ne plus rassasier ses propriétaires et actionnaires. A la catastrophe économique vint s’ajouter le scandale écologique et humanitaire. En effet, un conflit juridique entre les différents membres du conseil d’administration bloqua les actions de dépollution du site. Ce qui eut pour conséquence la mise en place d’un périmètre de sécurité tout autour de l’usine qui était aussi grande qu’une ville de 4000 habitants. Les lieux étaient inviolables et l’inimaginable se produisit. On ne put empêcher le stockage de l’équivalent d’une année de production de céréales d’un pays comme la Belgique, voué à l’abandon dans les immenses et innombrables hangars et silos de l’usine en attente de désinfection. Les autorités locales et régionales crièrent au scandale, mais rien ne pouvait y faire. Les risques sanitaires et le principe de précaution prédominaient à toute autre considération. Un journaliste local obtint les confessions d’un dirigeant démissionnaire, de toute façon le coût économique de déplacement de cette matière première était prohibitif. 

Jacques se promenait le long de la Lys qui suivait son cours au rythme lent des péniches qui glissaient à la queue leu leu sur ses flots vaseux. Au détour du sentier où les orties s’érigeaient, son regard scruta les squelettes métalliques, grands bras élévateurs qui se dirigeaient vers les tours éteintes et bâtiments à l’abandon de l’usine d’amidon à tout jamais endormie. Plus aucune embarcation ne s’arrêtait pour livrer la bête gloutonne qui avalait par quintaux les céréales des agriculteurs du pays. Jacques entendit soudain un cri qui lui parut familier. Ce son strident, il le reconnut comme un chasseur retrouvant son instinct. Seul un rat gigantesque, un « mâle dominant » était capable de produire ce son persiflant et rageur. Il se sentit observé et fut tétanisé par le gonflement persistant du souffle de la bête qu’il ne voyait toujours pas mais dont il commençait à sentir l’haleine. Le rugissement de l’animal qui bondit du talus pour attraper sa gorge lui laissa juste le temps d’esquiver miraculeusement l’assaut. Il chuta lourdement. Il se releva immédiatement et se retourna pour lui faire face. Le rat, les poils hérissés, arc-bouté au sol sur ses quatre pattes, s’apprêtait à s’élancer d’un bond fatal vers sa proie. Jacques était sur le point de s’affaisser de frayeur tant la bête était énorme. De mémoire de dératiseur, il n’avait jamais rencontré de tels spécimens. Ses longs poils marron étaient aussi drus que de la maille de fer, ses dents acérées occupaient l’essentiel de sa gueule, le rat mesurait plus de cinquante centimètres, quant à sa queue, Jacques s’imaginait pouvoir la tresser pour en fabriquer un « nerf de bœuf ». Des gouttelettes de sueur froide jaillissaient de son front creusé par des sillons de frayeur. Il avait envie de hurler mais se retint, tout geste brusque ou bruit non advenu pourrait lui être fatal dans cette situation où le rapport de force dominait. Tout être non expérimenté aurait déjà pris ses jambes à son cou. Jacques savait que le moindre mouvement de sa part le tuerait. La vitesse avec laquelle l’animal se déplaçait et la force de son croc ne lui laisseraient aucune chance. Un duel psychologique qui sembla durer une éternité s’instaura. Jacques qui se sentait malheureusement fléchir sous l’effet du stress était sur le point de s’évanouir quand un bruit d’arme à feu mit fin à son calvaire.

Albert était un chasseur du coin qui passait par hasard. Cela faisait plusieurs jours qu’il longeait les berges de la Lys à la recherche de sa chienne Lassie qu’il avait perdue. Jacques connaissait très bien Albert avec qui il partageait la passion de la bière ainsi que celle des séances interminables de poker au PMU qu’ils fréquentaient le dimanche après-midi. Il ne put s’empêcher de le prendre dans ses bras et de l’embrasser. Notre taiseux et bourru Albert ne s’attendait pas à une telle marque de reconnaissance, le récit de son ami lui parut quelque peu exagéré. Toute cette petite histoire se terminerait autour de la dégustation d’une « Triple » locale afin que Jacques puisse se remettre de ses émotions. Ce dernier n’arrivait plus à dormir, il se réveillait la nuit en sueur avec l’image d’un rat géant qui se jetait sur lui au détour d’une rue. Obsédé par sa rencontre, il contacta d’anciens collègues pour savoir si de leur côté, ils avaient rencontré une espèce de rats musqués particulièrement violents ayant l’agilité et la voracité des rats des villes et la force et la taille des rats de campagne. Sa stupeur fut totale, son ancienne entreprise n’avait enregistrée aucune intervention dans la métropole lilloise depuis plusieurs semaines. Aussi surprenant que cela pouvait paraître, les rats avaient totalement disparus de la circulation. L’évolution de l’activité se confirmait, la situation revenait à la normale à l’Est de Lille après la zone transfrontalière. Les rats avaient dû migrer vers d’autres zones pour des raisons encore inconnues, une équipe d’experts scientifiques avait été dépêchée pour en comprendre les raisons. La mission devait rester confidentielle car ne relevait pas d’une situation de risque ou d’urgence. Bien au contraire, fanfaronnaient naïvement les autorités compétentes.

Maîtrisant sa peur, Jacques décida de retourner près de l’usine, à l’endroit même où il était tombé nez à nez avec le rat. Il s’équipa par précaution du matériel de prévention qu’il avait obtenu au moment de l’affaire des nuisibles dominants même si sa fléchette lui paraissait désuète au regard de l’épaisseur de la peau de la bête qu’il avait croisée. Il s’enfonça dans la mesure du possible dans les herbes hautes qui bordaient le périmètre juste avant les clôtures montées à la va vite pour empêcher toute intrusion. Il approchait le grillage quand il marcha sur une butte qui le fit tomber. Il jura de rage en se relevant puis blêmit à la vue du triste spectacle qui s’offrit à lui. Il avait marché sur la pauvre Lassie dont le tronc et la tête avaient été dévorés. Des asticots grouillaient sur les restes de peau qui jonchaient le sol. Au vu de l’état de décomposition avancée du cadavre, la pauvre chienne avait dû se faire agresser il y avait plus d’une semaine. Le brave Albert n’était pas prêt de la retrouver. Un trou béant occupait ce qui restait de gorge sur l’animal, Jacques ne put s’empêcher de penser au rat dominant qu’il avait croisé. Un rat tueur vagabondait dans les parages. Jacques devait alerter les autorités locales. Ici comme ailleurs, la paix des gens était plus importante que tout le reste. Il s’adresserait directement au maire qui diligentera une enquête confidentielle sans éveiller de crainte au niveau des populations.

Une battue fut organisée dès le mardi suivant. Albert était de la partie. Il avait graissé son fusil de sorte à faire exploser la cervelle de cette bête immonde qui avait dévorée sa pauvre Lassie, pourtant aguerrie aux rencontres fortuites lors de leurs longues escapades à chasser le gibier. Il se souvient encore de ce renard affamé qui se jeta comme un enragé sur elle pour s’approprier le lapin qu’il avait abattu. Elle ne se laissa nullement impressionner. Les yeux d’Albert brillaient toujours quand il racontait à qui voulait l’entendre comment elle l’avait repoussé de ses pattes musclées, esquivant ensuite ses attaques, pour enfin prendre le dessus jusqu’à le faire fuir. Ce dernier tout penaud de s’être fait balader par la force tranquille de la domesticité contrastait avec l’attitude altière de Lassie qui ramenait fièrement le lapin à son maître, toisant le canidé d’un regard provocateur. Jacques était le seul participant véritablement inquiet. Les deux cantonniers de La Gorgue qui les accompagnaient dans leur périple, avaient beau plaisanter sur la nature iconoclaste de leur équipée, un mauvais pressentiment le préoccupait toujours. A sa décharge, il était le seul témoin de la taille monstrueuse du rat qu’ils recherchaient. Qui plus est, le maire avait d’autant plus pris au sérieux le discours alarmant de Jacques que ces derniers jours, une dizaine de ses concitoyens, étaient venus le voir pour signaler la disparition insolite de leurs chats. Cela ne servait à rien d’inquiéter la population, ni les comparses de Jacques, mais la bête rôdait maintenant aux abords des habitations.

Henri entra furieux dans le bureau de son chef de service. Les recherches menées dans toute la partie Est de Lille ne mèneraient à rien. Il souhaitait mobiliser des moyens pour analyser les égouts et canalisations à partir de la célèbre Citadelle, jusqu’à la sortie Nord de la capitale des Flandres, au niveau du port fluvial, là où la majorité des eaux pluviales et autres boues, sortaient des entrailles de la ville. Il avait parcouru le dossier et fut abasourdi de constater qu’un nombre incalculable de témoignages décrivant une activité pour le moins inhabituelle dans la zone avait été négligé par les autorités. Ils faisaient part de couinements incessants et assourdissants aux heures crépusculaires de la journée. Ils racontaient des visions de tapis de rats recouvrant les quais sur toute la longueur de l’arrière port jusqu’au parking des personnels en passant par les nombreux pontons destinés à accueillir les bateaux de marchandises. Le port de Lille était devenu une plateforme industrielle d’acheminement des déchets, via le canal de la Deûle, vers les immenses centres de collecte, de tri et d’incinération construits à la périphérie des villes de la métropole. Le temps des règlements de compte interservices interviendrait plus tard, pour le moment, Henri obtint gain de cause pour lancer ses recherches.

La nuit approchait, notre équipe de braconniers « en herbe » n’avaient toujours pas mis la main sur ce qu’ils surnommèrent en prévision du mythe qu’ils étaient en train de se construire et qui ferait leur renommée, le prédateur. Seul Jacques avait toujours du mal à sourire et à plaisanter sur l’objet de leur mission. Albert s’apprêtait à convaincre le reste de l’équipe qu’il était temps de rentrer, ils repartiraient à la recherche du « surmulot » le lendemain aux aurores, quand Max, le plus vieux des deux cantonniers prit son pied dans un anneau d’acier.

Dix-sept heures approchait quand Henri reçut les résultats de l’autopsie des rats d’égouts retrouvés dans des tonneaux métalliques rouillés, empilés dans les entrepôts désinfectés d’une zone inexploitée du Port de Lille, ainsi que dans ce qu’il convenait d’appeler un repère transformé en piège, dans l’un des cachots humides perdus au milieu des sous-sols de la « reine des citadelles » comme l’appelait lui-même Vauban au XVIIème siècle. Ces rats morts avaient été attaqués probablement par leurs pairs et tentaient de fuir. Pour une raison inexpliquée, des rats dominants ont dévoré selon un critère de sélection à déterminer, une frange non négligeable de leur population. La famine était fort probablement l’une des causes, mais la similitude de taille et de couleur des rats décimés, laissaient à penser que l’extermination était ciblée. Henri, spécialiste des rongeurs depuis de nombreuses années, paniqua à l’idée d’être en présence de ce qu’il imaginait être la première preuve de la manifestation d’une certaine forme d’intelligence dans leur organisation et donc de leur évolution. Sa crainte se transforma en frayeur quand l’un des membres de son équipe lui amena un spécimen troublant, un rat beaucoup plus gros que la normale, une sorte d’hybride entre le rat d’égout et le rat des champs.

Jacques prit le bras du vieux Max pour l’aider à se lever. Il se souvenait parfaitement de l’origine de cet arceau perdu en plaine lyssoise. Tous les anciens connaissaient l’existence de cette sortie de secours, utilisée par les ouvriers de maintenance de l’usine, pour accéder aux canalisations souterraines des installations de vidange des cuves d’eaux usagées après le traitement de l’amidon. Dans un geste mécanique, Albert tira sur l’anse. Il n’eut pas le temps de réagir qu’un rat roux énorme sortant comme un projectile de l’orifice, se jeta à sa figure et planta ses crocs au plus profond de sa chair. Jacques hurla d’horreur en voyant l’animal dévorer les yeux de son comparse qui s’effondra de douleur, toutes forces l’abandonnant. Un bruit assourdissant de couinements aigus remonta des entrailles de la terre. Le rat furibond, s’acharnait encore sur le pauvre Albert dont le visage était maintenant déchiqueté. Il s’apprêtait à bondir vers Max qui, tétanisé par la peur, était incapable de réagir. Dans un instinct de survie, Jacques donna un puissant coup de pied dans la dalle en béton qu’Albert avait soulevée, la faisant retomber bruyamment sur son socle au nez d’une horde de rats monstrueux du même acabit que le prédateur. Les cris étouffés des rats rageurs bloqués sous la dalle effrayèrent Jacques qui ne put s’empêcher de trembler et de pleurer comme un enfant apeuré au milieu de ses pires cauchemars. Le bruit de la balle de fusil qui vint s’écraser dans la cervelle de la bête, dans un acte désespéré de Vincent, qui avait réussi à rassembler tout ce qui lui restait de force et de courage pour mettre en joue l’animal, sortit Jacques de sa crise de panique.

Henri en était certain, les éléments chimiques retrouvés sur les rats ne pouvaient provenir que d’une usine spécialisée dans l’amidon. Les aliments extraits de l’estomac du spécimen hybride étaient tous imbibés du même produit dérivé d’un polymère à base d’amidon. La densité de cette molécule retrouvée dans les tissus du rat avait provoqué une excroissance musculaire de l’animal et Henri fut convaincu que son introduction dans son système nerveux avait pu entraîner une forme nouvelle d’agressivité. Ainsi, les rats imprégnés par la substance devenaient dominants et prenaient le dessus sur les rats non infectés par la molécule. Restait à comprendre d’où ces rats avaient pu trouver cette nourriture qui s’apparentait à des céréales classiques type maïs ou blé. Henri était horrifié à l’idée qu’une telle substance ait pu être avalée en quantité astronomique par des rats qui se transformaient à son contact en de dangereux prédateurs. Leur taille pouvaient augmenter de 50 à 100 %, ainsi les plus gros pouvaient mesurer plus de 50 cm. Leurs dents constitueraient des crocs acérés extrêmement incisifs. Leur agressivité les rendrait bien plus dangereux que tout ce que l’on pouvait imaginer. Dans son rapport, Henri précisa bien que le risque était circonscrit du fait d’une faible probabilité de contagion de par le caractère exceptionnel d’incubation de la « maladie ». C’était dans cet état d’excitation mesurée qu’Henri alla se coucher paisiblement. La nuit l’enveloppa dans ses grands bras, il pouvait dormir tranquillement. Il mettrait au point, dès le lendemain matin, son plan d’actions pour endiguer ce microphénomène, encore une fois, la discrétion devra primer, il ne faut surtout pas effrayer les populations.

La nuit était tombée sur les berges de la Lys. Le doux clapotis de la rivière était trompeur. Un drame sans précédent se tramait sur les lieux désormais maudits de ce canton situé en plein cœur des Flandres. Albert était mort, allongé sur le sol. Ce visage sans regard avec un trou béant au niveau de la bouche figeait le reste de l’équipe dans une léthargie moribonde. Le sol tremblait sous l’effet d’une agitation sous-terraine pour une raison malheureusement si prévisible que ni Jacques, ni Max, ni Vincent n’avait plus la force de bouger. L’enfer était sous leurs pieds. La terre allait cracher son lot de monstruosité dans sa forme la plus cruelle. Des hordes de rats rageurs et dominants allaient sortir des entrailles de l’usine pour envahir les villages et hameaux avoisinants. Des milliers de personnes seront dévorées par des prédateurs voraces affamés qui vont se nourrir de chairs et s’abreuver de sang. Jacques comprit en quelques secondes la portée de l’horreur du cataclysme sordide qui se préparait, il lui apparut évident que des centaines de milliers de rats, peut-être plus encore, avaient fait une vingtaine de kilomètres à partir de Lille et les campagnes environnantes, pour venir se goinfrer dans un grenier équivalent à la production céréalière d’un pays comme la Belgique. Ils allaient mourir comme tous les autres. Leur sort était pire cependant, car eux savaient. La perspective d’être dévorés vivants par ces monstres était au-dessus de leurs forces. Ils avaient des armes, la vision du corps déchiqueté d’Albert scella leur décision.

Un bruit énorme surgit de l’usine comme une explosion de gaz. Des lumières phosphorescentes giclaient partout dans le ciel comme des étoiles filantes. Des sirènes hurlantes envahirent la nuit dans un kaléidoscope de gyrophares. Puis des cris stridents de bêtes qu’on égorgeait ou qu’on brûlait crépitèrent. Ces hurlements s’entendaient à plusieurs kilomètres à la ronde. Puis les coups de feu de mitraillettes percèrent la nuit de leurs sifflements accompagnés le plus souvent de couinements de douleurs. Des individus en combinaison s’avançaient en rangs vers l’usine avec leurs lances flammes qui crachaient le feu dans des odeurs de chair brûlée insoutenables. Un combat sans merci s’engagea entre l’armée et ces ennemis invisibles à face de rats qui n’hésitaient pas à sauter le grillage pour voler au secours de leurs pairs et tenter vainement de sauver leur terre promise, cette réserve de nourriture inépuisable qui les rendait si forts. La lutte dura toute la nuit, à la fin des combats, il ne restait plus rien, seule une pluie de bombes put en effet venir à bout des prédateurs dont l’instinct de survie et de défense dépassait celui des hommes.

Henri s’approcha de Jacques qui demeurait toujours dans un état catatonique. Il le reconnut de par la description sur le rapport qu’il avait lu cette nuit après s’être réveillé en nage à l’issue d’un cauchemar au sein duquel un rat géant s’était rué sur lui au détour d’une rue. Ce témoignage anodin remonté par le maire de la Gorgue qui souhaitait une enquête discrète sur l’existence d’un rat tueur dans sa circonscription. Comment ne pas avoir fait le rapprochement immédiatement lors des résultats de l’autopsie ? Et puis cet article de journal qui lui revint subitement à l’esprit, un dégât écologique et humanitaire sans précédent dans une usine spécialisée dans l’amidon. L’horreur lui explosa au visage quand il fit le rapprochement entre les rats dominants, la disparition des rats de Lille et la réserve de céréales infectées par la substance chimique. La chaîne de décisions des autorités locales, régionales et préfectorales battit tous les records de vitesse pour déclencher les opérations de « déminage » d’une catastrophe pourtant annoncée après plusieurs mois de laxisme de leur part. Les journaux évoquèrent un dramatique accident industriel sur le site abandonné de l’usine de production d’amidon de Flandres Lys. Les flammes avaient détruit définitivement ce qui restera dans tous les esprits comme le plus gros scandale écologique et humanitaire issue de l’activité humaine. Les autorités se félicitèrent de cette indignation générale, il ne fallait surtout jamais effrayer les populations...
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  • LE VIEIL HERMANN
    par USUS

    - LE VIEIL HERMANN

    Le Vieil Hermann ?



    Je vous en prie, asseyez-vous et prenez un verre de cet excellent schnaps. Herta va nous préparer le café. Une bonne histoire nécessite un minimum de confort et je suis persuadé que votre rédacteur en chef vous a choisi pour vos qualités d’écoute. Moi, il me faut encore allumer ma pipe pour me concentrer et ne rien oublier de ce récit tant il s’étale sur l’époque. 
Ce fut mon grand père qui, un beau matin d’été 1880 sentit sur sa ligne une traction inhabituelle. Dans la Spreep ne frétillaient que gardons, perches et goujons. Mais là, la force qui pliait sa ligne était d’une autre classe. Le bambou formait un arc extrême, proche de la rupture et s’agitait de soubresauts puissants et répétés. Helmuth, qui n’était pas homme à s’en laisser conter et surtout pas par un poisson, livra bataille. Cette résistance comblait le pêcheur d’un plaisir proche de la jubilation. Il n’avait encore jamais ressenti de telles émotionsj bien qu’il pratiqua la pêche depuis ses quinze ans. Il imaginait déjà sa fierté à la présentation devant amis et voisins d’un trophée hors du commun. Une de ces prises aux dimensions exceptionnelles qui resterait gravée dans la mémoire collective. Alors il rendit coup pour coup, fatiguant l’animal. Parfois un éclat de lumière fugace frappait un dos argenté puis le fil replongeait dans l’eau, entraînant d’amples ondulations concentriques. A la fin, à bout de force, un étrange poisson montra enfin le bout de son museau. C’était un bec plat cerné de barbillons couleur gris jaune. Quelle ne fut pas la surprise de mon grand-père en découvrant le premier poisson chat qu’il n’eut jamais vu ! Mais le plus étonnant c’était sa taille. Son valeureux adversaire ne mesurait pas plus de quinze bons centimètres. Tenant sa prise encore pendue à l’hameçon, Helmuth restait songeur. La voilà donc cette prise exceptionnelle qui était censée lui attirer l’admiration et les félicitations de ses pairs ! Après un instant de réflexion, il décida de le remettre à l’eau. C’est grâce à ce geste de clémence inhabituel pour l’époque que je peux, cher monsieur, aujourd’hui vous conter mon histoire.
Je vous parle d’une époque où il n’était pas d’usage de négliger une friture pour améliorer un ordinaire somme toute assez austère. Lorsque deux garnements du village surprirent le geste d’Helmuth, ils s’empressèrent de le commenter au village.
— Hé le père Kranz il a péché un drôle de truc avec des moustaches, on aurait dit la figure du vieil Hermann. 
Le nom était trouvé tout naturellement pour identifier notre phénomène car celui-ci fut prit à nouveau au piège d’un hameçon par un autre pêcheur curieux de le voir. Par respect envers mon aïeul, il rejeta à l’eau également sa prise après l’avoir bien observée. C’est ainsi qu’au fil des années, le vieil Hermann prit ses quartiers dans les méandres de la Spreep. Il y prospéra en aidant les pêcheurs à réguler la population de la rivière par son appétit croissant. Les années passèrent comme l’eau vive sous le pont du village et chacun pouvait voir dans l’onde claire à chaque printemps la taille du vieil Hermann croître et s’allonger. On s’habituait à sa croissance mais sa physionomie se transformait aussi, et son appétit mit en danger la faune de la Spreep. Les anciens les premiers avaient remarqué les dents effilées qui désormais garnissaient une mâchoire large et puissante. En quelques années, il avait dépassé en taille les brochets du grand fleuve. Le vieil Hermann était devenu un prédateur. Il était grand temps de réagir. 
Le conseil se réunit pour statuer sur le cas. Certains argumentèrent une euthanasie suivie d’un repas offert aux pécheurs. Mais il s’était passé un événement assez remarquable. Avec le temps, année après année, le vieil Hermann avait banalisé sa présence, devenant naturellement partie intégrante du paysage. Quels villageois grands ou petits n’avaient jamais traîné sur les berges de la Spreep, espérant l’entrevoir et admirer sa taille, puis rejoindre sa maison pour raconter aux siens ? Le vieil Hermann devint la mascotte de Mittdoch. Mais comment assurer à la fois les autres espèces et la survie de notre protégé en tenant compte également de la sécurité des gamins qui se baignaient dans la Spreep depuis toujours ? La mâchoire du vieil Hermann incitait à la prudence. On trouva une solution. On installa en amont et en aval du village des filets à trame métallique barrant la rivière et laissant deux kilomètres environ de disponibilité à notre mascotte. Le maillage permettant le passage de poissons de taille limitée. Alors tout redevint tranquille et harmonieux. Le village connut de nouveau le calme. De temps en temps, le vieil Hermann offrait aux promeneurs la vue de son dos aux proportions de plus en plus impressionnantes. Lorsqu’un habitant devait s’éloigner de Mittdoch, sa première visite à son retour était impérativement pour la rivière. 

Mon grand-père s’éteignit avec le siècle. Mon père avait trente ans et le vieil Hermann filait toujours des jours heureux dans son domaine. Il avait atteint une taille extraordinaire pour une créature d’eau douce. Mais il était toujours le fruit d’une vénération bienveillante.
Les années glissèrent sur le pays. Une nouvelle génération vint égayer le village. A quinze ans, nous formions une jolie bande parcourant rues et places en glissades et éclats de rire propres à remuer les pierres. L’année 1920, l’année de la grande sécheresse, nous vîmes pour la première fois le niveau de la Spreep descendre si bas qu’elle se résumait à un filet d’eau de quelques mètres cerné de larges bourbiers. Ce fut Gerda qui vit cet impressionnant dos argenté se débattre dans la vase. Le vieil Hermann était en fâcheuse posture. Rapidement, elle sonna l’alerte et une bonne dizaine d’hommes vint à la rivière. Il fallut agir vite pour sauver le poisson. Le bourgmestre décida de le faire glisser sur une civière improvisée et de le transporter dans le lit restreint où circulait encore suffisamment d’eau pour lui assurer la survie. Le sortir de la vase relevait des travaux d’Hercule mais après d’invraisemblables efforts de la part des hommes, notre mascotte fut enfin installée sur la civière et hors de danger. A ce moment, tous firent cercle autour du vieil Hermann en silence. Ils prirent conscience de la véritable taille de ce qui ressemblait à un de ces silures qui peuplent le grand fleuve. Mais le nôtre possédait dans sa monstrueuse gueule plusieurs rangées de dents acérées, semblables à la mâchoire d’un requin. On courut chercher un outil, on le mesura. Il dépassait les trois mètres vingt et les quatre-vingts centimètres en largeur. Un moment de doute au sein des curieux plomba l’ambiance. Ce monstre, qui fut à une époque une source d’amusement, fallait-il lui permettre de continuer à hanter la rivière ? Cette question inconsciemment trottait dans beaucoup de têtes. C’est le bourgmestre qui décida de sa remise à l’eau. Depuis ce jour, on continua à fréquenter les berges de la Spreep mais on en interdit l’accès aux enfants qui s’empressèrent bien entendu de désobéir.

L’été 1920 fut rude, chaud et sec. La bande, sous l’impulsion d’Otto, mit ses efforts au service de la communauté. Il fallut rationner l’eau de la source et M. Wuthrich le bourgmestre répartit les responsabilités. Pour la population des villages, l’occupation française et le remboursement de la dette de guerre fut une charge insupportable aussi les hommes travaillaient pour l’Etat et les adolescents furent affectés aux tâches subalternes. Otto avait suffisamment d’autorité naturelle pour diriger la petite équipe que nous formions aussi bien dans l’accomplissement des missions qui nous étaient dévolues que dans nos folles échappées juvéniles. Moi, je représentais la tête pensante de la troupe. Helmina et Gerda, la touche féminine depuis notre plus tendre jeunesse. Ulrick et Dierk complétaient cette troupe un peu déjantée. Dès la fin des cours, pour ceux d’entre nous qui avions la chance de poursuivre une scolarité encore aléatoire, le service à la collectivité prenait le relais de l’éducation. J’ai encore au cœur cette chaleur, pur produit de notre bel enthousiasme. Cette présentation de notre équipe serait incomplète si je ne vous touchais deux mots de Jarod et Elina, les enfants du couple d’instituteurs qui furent affectés au village à la fin de la guerre. Bien que leur confession s’avéra différente de la nôtre (nos familles fréquentant l’église réformée), ils intégrèrent rapidement l’équipe et s’y montrèrent redoutablement efficaces.
Cette belle harmonie connut quelques dissonances à la rentrée scolaire. M. Kranz décida d’envoyer Otto parfaire ses études à Munich. Celui-ci partit la semaine pour ne revenir au village que le dimanche. Notre équipe me désigna vite à sa succession. Nous l’enviions tous un peu de cette évasion sur la grande ville, bien que notre camarade insista sur le côté contraignant de la vie de pensionnaire. A son premier retour, nous l’avons littéralement assailli de questions. Il nous a vanté le charme de la grande cité, ses commerces, ses monuments et surtout le foisonnement de la vie dans les cafés et brasseries des grandes artères où se retrouvaient artistes et intellectuels. Il y a découvert un homme hors du commun. Ce petit brun moustachu juché sur une chaise haranguait les habitués en prônant le renouveau de la fierté nationale et la reconquête de nos territoires annexés à la défaite de 1918. En phrases courtes et percutantes accompagnées d’une gestuelle plutôt radicale, il galvanisait son auditoire. Otto visiblement était tombé sous son charme. Il voulait effacer la honte de la défaite mais également réveiller la fierté de cette race de laquelle pourtant, physiquement, il semblait fort éloigné. 
Les mois passèrent et à chacun de ses retours au pays, la personnalité de notre ami changeait. Il était incontestable qu’il subissait une influence, la force de persuasion d’un caractère exceptionnel. A sa deuxième visite, il nous vanta les idées nouvelles d’un ordre qui devait remettre notre nation sur les rails d’une économie redressée. Il nous suggéra également de prendre une certaine distance vis-à-vis des enfants des instituteurs. Mais il ne nous fournit aucune explication sur ce conseil. La semaine suivante, il débarqua sanglé dans une sorte d’uniforme : chemise brune, baudrier, pantalon court et coiffe noir. Il nous a dit s’être inscrit dans une fraternité créée par le petit homme moustachu. C’est à ce moment que son caractère s’affirma. Les sympathiques et joyeux commandements de l’époque juvénile devinrent des ordres incontestables. Il nous fallut refuser tous contacts avec Jarod et Elina pour lesquels il éprouvait une aversion incompréhensible. Otto devenait un homme, peut-être trop vite, en grillant les étapes de la maturité. Mais à chaque retour, jamais il n’oubliait de rendre visite à la rivière. Il y passait de longs moments solitaires, guettant une hypothétique apparition du vieil Hermann. 
Six mois plus tard, il annonça à qui voulait l’entendre l’arrêt de ses études pour prendre des responsabilités au sein de l’organisation de cette jeunesse paramilitaire. A cette époque, le mouvement politique créé par le petit moustachu prenait une ampleur assez inquiétante et les discours de haine mêlés de patriotisme exacerbé se succédaient et dépassaient le cadre munichois. Otto adopta les convictions de son modèle dans leur globalité. Il comprit vite qu’avec son esprit d’initiative et la ferveur de sa foi dans les principes de base de ce nouvel ordre, un avenir radieux s’offrait à lui. Il fut nommé chef de groupe et reçut de la part des membres berlinois une formation politique spécifique conçue pour les jeunes membres du nouveau parti. Je me souviens de l’année 1922 qui vit Otto revenir un dimanche dans un état d’excitation frôlant la colère. Il nous expliqua que le petit moustachu avait été arrêté et condamné à la prison pour trouble à l’ordre publique. Aussi notre ami fustigeait-il les autorités judiciaires pour leur immobilisme et leur partialité. En fait, le délinquant condamné à trois mois d’emprisonnement ne fit qu’un mois et reprit aussitôt sa croisade. 
Otto, le lieutenant Otto Kranz désormais, passait ses dimanches à organiser auprès des jeunes gens des réunions d’information sur la nécessité de suivre cette nouvelle Allemagne. Celle qui allait montrer à l’Europe entière sa formidable envie de vivre et sa volonté de paix. Il expliquait également avec force conviction et un talent d’orateur tout droit sortit des stages de formation du parti, qu’il était incontournable de remettre les territoires annexés dans le giron de la mère patrie, la paix étant à ce prix. Personnellement, toute cette idéologie ne me convainquait nullement. C’est surtout cette attaque permanente contre les personnes d’une certaine confession qui m’effrayait et me choquait. 
Bien que Mittdoch soit éloigné des grandes métropoles, il nous parvenait des nouvelles assez inquiétantes sur les mesures prises par ce parti vis-à-vis de ses opposants politiques. Mais c’est surtout les actions de violences envers les minorités qui m’épouvantaient. Le pays devenait un chaudron de haine, influencé par les harangues perpétuelles du petit moustachu. Celui-ci goûta encore à la prison, ce qui ne l’empêcha pas de diffuser ses théories nauséeuses. Et pendant ce temps, Otto appliquait sur le terrain toute cette idéologie sans plus d’état d’âme. Au village, chacune de ses présences étaient craintes et personne n’osait plus le contredire dans ses prêches. A la tête de son groupe, il appliquait avec efficacité les décisions du parti. Les dimanches après-midi, il organisait des parades où chacun au village pouvait admirer la parfaite tenue des uniformes et l’ordonnancement des défilés martiaux avec ce nouveau drapeau à la croix symbolique noire sur fond rouge. Mais aux yeux d’Otto, ces défilés faisaient pâle figure à côté des grandes messes de Munich ou Berlin où le parti donnait la pleine mesure de sa puissance. Un jour, une délégation fit irruption dans la cour de l’école et emmena la famille de Jarod et Elina vers une destination inconnue. Ils furent remplacés par des instituteurs grands et blonds avec un nouveau programme. 
Voyez-vous monsieur, pour Otto Kranz la vie se déroulait comme un film dont il devenait le héros. Il avait acquis cette faculté d’obéissance absolue due aux maîtres ou aux gourous. Ses actions le propulsaient vers des échelons hiérarchiques jamais imaginés. On lui confia des missions très « spéciales » dont il s’acquitta avec zèle, efficacité et surtout discrétion. Il apporta des solutions à des problèmes de traitement des populations quand l’ordre vint de commencer les déplacements de masse. Il se sentait investi. Dans son propre village, tous le saluaient avec crainte et cette respectabilité de façade lui procurait le plaisir du pouvoir. Suite à des pressions répétées et par peur d’un avenir incertain, Ulrick et Dierk avaient rejoint les rangs de l’organisation de jeunesse. Les filles refusèrent et réussirent à former un petit noyau de résistance que je rejoignis. Souvent, au petit matin, je voyais Otto se promener au bort de la Spreep. Il restait de longues minutes immobiles, guettant l’onde. Lors de rares conversations que j’entretins avec lui, il me confia une partie de ses rêves. Il savait un jour occuper les fonctions suprêmes au sein de l’organisation. Il commanderait la totalité des corps de protection de propagation du nouvel ordre. Plus de trois cent mille fidèles, triés sur le volet et prêts à mourir pour le petit moustachu. Mais il cultivait secrètement un autre but. Celui-ci plus intime, plus inscrit dans sa mégalomanie. 
Le fait qu’au sein de son propre village il puisse y avoir des personnes, jeunes ou adultes, qui ne soient pas encore membres du parti ou sympathisants lui était proprement insupportable. Il y voyait un échec personnel. Et que diraient ses chefs s’ils se renseignaient sur lui ? L’état-major avait des dossiers sur tous. Il serait taxé d’inefficacité, lui qui mettait tant de zèle à accomplir toutes ces missions si « spéciales ». Non il devait montrer une image parfaite, son avenir en dépendait. Mais vis-à-vis de ses amis d’enfance, son éloquence et le prosélytisme habituel n’avait pas suffi, là où les autres l’avaient suivi. Il lui fallait trouver le moyen de les convaincre qu’il représentait l’avenir, qu’il était l’homme, l’élu. Il devait leur montrer une image incontestable, frapper un grand coup. Voilà à quoi Otto Kranz pensait lors de ses promenades matinales au bord de la Spreep.
Ce fut naturellement qu’il pensa au vieil Hermann. Il s’en étrangla presque. La solution était là, sous ses yeux tous les matins. Mais peut-être cela habitait son subconscient depuis toujours. L’image du monstrueux animal, de ses mâchoires garnies de dents abominables, de cette crainte collective et inavouée qu’il inspirait malgré son statut de mascotte, toutes ces raisons justifiaient le projet qui mûrit dans l’esprit d’Otto Kranz, lieutenant du corps des volontaires de Bavière. Quelle gloire, quelle reconnaissance de la part de ses pairs s’il affrontait cette abomination de la nature. Ce geste à la fois héroïque et symbolique le placerait également en défenseur de la race et pourfendeur de tout ce qui peut la polluer. La population, ses amis, ses supérieurs seraient les témoins de la noblesse et de la sincérité de son engagement. Lui, d’extraction paysanne, propulsé par sa volonté aux plus hautes sphères de l’Etat. Plus il y pensait, plus il voyait un plan se dessiner. Il fallait que l’exploit se déroule avec solennité, devant un public sous pression. Il devait rassembler les gens du village, les amis et s’arranger pour faire venir ses supérieurs. Une grande kermesse festive et politique, voilà le décor. La date du 21 juin lui parut la plus favorable. S’il voulait être prêt pour le solstice d’été, il lui restait juste un mois pour tout organiser. Ce soir-là, Otto s’endormit détendu avec des rêves de gloire.
La veille de la fête, Mittdoch fut envahie par une escouade de jeunes gens en uniformes brun. On s’affaira au bort de la Spreep, dans la partie réservée. Les hommes du lieutenant Kranz installèrent des stands et des chapiteaux. On dressa drapeaux et oriflammes aux couleurs de parti. Un franc soleil sécha les herbages. La fanfare de cuivres et tambours s’installa vers dix heures. Les voitures officielles débarquèrent officiers et sous-officiers sanglés dans des uniformes impeccables valorisant le renouveau de cette armée qui relevait la tête. La curiosité gagna la population qui descendit à la rivière. Je dois vous avouer monsieur que, malgré notre aversion pour toute cette faune politico-militaire, Helmina, Gerda et moi-même avons cédé à la tentation d’assister à ce qu’Otto Kranz nous a annoncé comme un événement exceptionnel sans plus de détails. La musique ouvrit les festivités et quelques officiers prirent la parole pour faire l’apologie des idées nouvelles et le réquisitoire d’une race qui à leur yeux représentait une véritable menace. Puis vers onze heures, on écarta la foule et l’instigateur de la fête apparut en haut du talus. Dans son grand uniforme de parade, il descendit calmement vers la basse berge en ménageant ses effets. Il émanait de sa personne une impression de force, de volonté maîtrisée. Comme il était redevenu beau à nos yeux, notre ancien ami égaré dans ses convictions. 
Devant la berge, lentement, posément, il retira ses vêtements ne conservant que son poignard de parade. Il se retourna, fit le salut bras tendu, fier. Puis il entra dans l’eau et attendit. Sur les talus, chacun retint son souffle. Les militaires s’interrogeaient silencieusement sur le sens du comportement de leur lieutenant et les villageois attendaient l’inévitable confrontation. A quelques dizaines de mètres de l’homme, une onde se formait traçant un V à la surface de l’eau. Lentement puis prenant de la vitesse, l’onde s’approcha d’Otto. Celui-ci, bien planté sur ses jambes, la tête émergeant, attendait. Puis tout alla très vite. Un monstrueux tourbillon perturba la rivière, projetant des gerbes d’écume. L’eau prit une teinte rouge quand un grand cri d’épouvante déchira les oreilles du public tétanisé. Cela dura quelques interminables secondes puis tout redevint silencieux. La rivière de nouveau calme miroitait sous le soleil de midi. 
Personne ne revit jamais le lieutenant Otto Kranz du corps des volontaires de Bavière. Otto était mon frère. Mais avant de rejoindre votre journal monsieur, reprenez donc un verre de cet excellent schnaps.
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  • Homélie du dimanche de la Sainte Trinité A


    La fête de la Sainte Trinité A (2017 A.D.)
    Une fois pour toutes : un seul Dieu avec Sa Parole et Son Esprit !
    (2 Cor 13,13)

    - LA STE TRINITÉ 2017

    La Ste Trinité de Roublev



    Une homélie « improvisée » à Jérusalem par son évêque-catéchiste, Saint Cyrille (+386)
    Nous ne pouvons pas nous payer ce luxe ! Mais, de Jérusalem, sans prétention, nous offrons un peu des trésors de la prédication apostolique, apologétique et celle des Pères postérieurs de l’Eglise. Ce « poumon oriental », bien matraqué dans l’histoire ancienne et contemporaine, continue pourtant à porter de l’air frais aux pays « de tradition chrétienne », un peu vieillis, fatigués, « blasés », inconsciemment cherchant « d’autres dieux, d’autres maîtres » !
    Mots durs de Saint Cyrille aux « chrétiens » ou aux adversaires qui « tombent en adoration » devant le « monothéisme » extra-chrétien
    Autrefois, « dans le bon vieux temps » (quand on jouait aux billes !), il n’y avait pas de « diplomatie » en religion, pas de « politiquement correct », donc pas de mensonge, pas de lâcheté ! Ecoutons notre ancien Evêque de Jérusalem : « Notre foi « en un seul Dieu » brise net toute erreur polythéiste : c’est l’arme dont nous nous sommes servis contre les Grecs (païens)… En ajoutant, « un seul Dieu Père », nous nous opposons aux gens de la circoncision (note : les Juifs, fidèlement suivis par les Musulmans) qui nient le Fils Seul-engendré de Dieu » (Huitième Catéchèse Baptismale, 1).
    Bons Catholiques, vous allez bondir et protester !
    Vous allez dire : « Nous vivons le temps du dialogue, du pluralisme, de la tolérance. Finies ces batailles d’arrière-garde et ces controverses vieillottes ! » Bien sûr, mais le problème et la controverse sur la Trinité restent, malgré les sourires, les courbettes et les salamalecs. La différence réside seulement dans la manière gentille de se confronter ou de s’affronter : plutôt débattre que se battre ou combattre : ça oui ! Mais la divergence reste. Et éviter un problème ne le résout pas davantage.
    Une pratique orientale chrétienne instructive
    En arabe, en syriaque (et probablement en hébreu), notre signe de la croix est accompagné par la profession de foi trinitaire, mais nous y ajoutons : «Au nom du Père… du Dieu unique. Amen » ! Ainsi, nos jeunes générations et nos auditeurs Juifs et Musulmans comprennent que « Père, Fils et Saint-Esprit » n’est pas un monsieur, son fiston et un copain à eux, mais un seul et unique Dieu, avec Sa Parole et Son Esprit.
    Une expression géniale de saint Cyrille de Jérusalem
    En parlant du « Père » (Septième Catéchèse Baptismale, 1-2), le saint évêque s’écrie : « De la « monarchie » à la paternité » ! Puisse notre pensée s’élever plus haut… » que le seul monothéisme naturel. Le nôtre est aussi un Dieu unique. L’hébreu « ehad » אחד de « Ecoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est un Seigneur-Yahweh unique » a été transcrit ou translittéré en arabe, dans le Coran, par « ahad » أحد, le même mot. Mais, en arabe, « ahad » signifie « l’un de… » et doit être suivi par un complément de nom, par exemple «l’un des seigneurs, l’un des maîtres ».
    Le Dieu unique est un Père pour le peuple Juif, dans le Judaïsme. Il est seulement Seigneur dans l‘Islam (en supposant que « Allah », à l’origine dieu nabatéen, soit Dieu). Pour nous, Dieu est le Père, universel et absolu.
    L’on ne saurait se lasser de répéter pourquoi Jésus a utilisé cette métaphore de Père-Fils. C’est parce que le peuple juif pouvait la comprendre facilement plutôt que des expressions philosophiques ou métaphysiques « à coucher dehors », telles « la substance de Dieu, Sa Parole ». A la fin du premier siècle, saint Jean n’hésitera pas, probablement pour éviter des malentendus grotesques et pénibles (comme celui qui objecte : « Allah ne peut pas avoir d’enfant puisqu’Il n’a pas de compagne ! »), à parler du »Verbe » de Dieu.
    Le grand islamologue et historien Jay Smith nous explique que cette obsession de nier à Allah une paternité physiologique et une compagne féminine constitue une réaction aux origines nabatéennes de l’Islam où le dieu « Allah » avait une compagne ou une épouse (de nos jours, on ne sait plus !) qui s’appelait « Allaate » ou « Al-Ouzzah » et une fille, « Manaate » (on retrouve les quatre dans le texte coranique).
    La Trinité, trine unité : un seul Dieu avec Sa Parole et Son Esprit
    L’évangéliste Jean nous a donné la clef : « Au commencement était le Verbe ; le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu » (Jn 1, 1). « L’Esprit Saint » : nous avons emprunté l’expression du grec des Septante « πνεύμα άγιον ». Mais, en hébreu et en araméen, il s’agit bien de « ruah haqqodech, ruha di qudcha רוח הקודש רוחא די קודשא « l’Esprit de la Sainteté », celle-ci étant Dieu lui-même, trois fois saint. Donc, Dieu et Sa Parole et Son Esprit, nous les  ou Le trouvons dès le premier chapitre de la Genèse : « Au commencement Dieu créa… et l’Esprit de Dieu planait sur les eaux… et Dieu dit …»  A nos frères aînés dans la foi, les Juifs, nous pouvons poser innocemment la question : « Comment le seul et unique Dieu pouvait-elle se payer la tête de notre premier parent, en se parlant avec Lui-même et disant : « Ha ha ! Voici Adam devenu comme l’un de nous » ? Et qu’on ne vienne pas nous répondre qu’Il parlait avec les anges !
    Les premiers apologistes chrétiens arabophones
    Confrontés aux Musulmans qui, en arabe, reprenaient les objections juives contre la Trinité, l’Incarnation et la divinité du Christ, les premiers penseurs chrétiens arabes ou arabophones ont rédigé des réponses franches, claires et relativement simples. Pratiquement, ils ont repris le vocabulaire biblique sur Dieu, son Verbe et Son Esprit, sans s’embourber dans des considérations philosophiques. C’est dans ce sens que s’expriment, entre autres, Taodros bin Qurrah, Nicétas de Constantinople, Ibrahim de Tibériade. Le « Verbe est l’intelligence de Dieu », et l’Esprit son principe vital. Allez imaginer Dieu sans Intelligence et sans Vie !
    L’objection islamique mortelle contre la Trinité !
    La question de la Trinité ne relève pas de la pédanterie ni d’élucubrations d’intellectuels fatigués ! Jusqu’à nos jours, des chrétiens, par exemple dernièrement, dès le début de cette année, une cinquantaine de Coptes en Egypte ont dû payer leur vie pour rendre ce témoignage (en grec « μαρτυρία martyria », martyre). Les militants djihadistes qui ont attaqué trois églises et qui ont assailli les autocars des pèlerins de Anba Samuel, dans le département de Mynia, ont implicitement et explicitement exigé des « nazaréens » de renoncer à la Trinité et à la divinité du Christ ! Parmi les martyrs de Minya il y avait beaucoup d’enfants. Eux non plus n’ont pas renoncé à la Trinité ! En Occident, nous n’avons pas besoin de djihadistes qui tuent des enfants : les parents eux-mêmes en tuent des milliers, par l’avortement !
    Pendant des siècles, l’objection contre la Trinité a fait confondre les « nazaréens » avec les « polythéistes, associateurs » (muchrikun مشركون) qui auraient associé à Allah Issa le Messie et sa mère.
     
    Il faut répondre à cette charge et à cette objection : pour notre vie spirituelle et pour notre vie tout court !
    En Occident, on n’a pas l’air d’être conscient de la gravité de cette objection et de ce malentendu, parfois intentionnellement nourri. Mais, sans diplomatie, toutes ces victimes tombées en Occident à Paris, Bruxelles, Madrid, Londres, Berlin etc…, malgré les tergiversations et les manipulations politiques et médiatiques, n’auraient pas été visées si elles étaient musulmanes sunnites. Donc, les agresseurs présumaient que ces personnes à tuer étaient soit des incroyants soit des nazaréens polythéistes. D’après le Coran 9 : 5 et 29, il faut soit les tuer soit les combattre jusqu’à les tuer, à moins qu’ils n’acceptent l’humiliation et ne versent la capitation جزية jizyah une taxe pour chaque mâle adulte et sain. Chronologiquement, ce chapitre 9 du Coran, et le texte dit « le verset du sabre », constituent le dernier mot du Coran qui abroge bien 124 textes bienveillants. Position unanime des exégètes musulmans anciens et autorisés. Les savants musulmans contemporains cherchent à diluer cette attitude ou à la nier, par souci de plaire, d’apaiser et d’attirer.
    Le Coran critique des triades, pas notre Trinité !
    « Savoir pour ne pas se faire avoir » ! En sachant ceci, nous sauvons notre foi, notre coexistence et notre peau. Brièvement, le Coran se déchaîne en accusant de blasphème celles et ceux qui professent que « Allah est l’un de trois » ou « le troisième de trois ». Jamais de la vie : pour nous, Dieu est un avec Sa Parole et Son Esprit !- Dans une ironie que le Père Gallez trouve cinglante, Allah demande à Issa, Messie, Fils de Maryam : « As-tu dit aux hommes : Prenez-moi et ma Mère comme dieux en dehors (ou : en dessous) d’Allah ? » (Coran 5 : 116). Le pauvre Issa, ahuri, se dérobe : « Comment aurais-je pu dire ce qui, pour moi, n’est pas vérité ? Si j’ai dit cela, Tu le sais ( !) ». Le même P. Gallez, se fondant sur des textes apocryphes gnostiques et autres,  identifie « l’Esprit d’Allah » (Esprit étant féminin en hébreu et en araméen) comme « Mère du Christ », plutôt que Maryam, une maman humaine. Malgré la documentation parfaite du Père, le Coran ne prend l’expression « mère de Issa » que dans le sens physiologique, par exemple : « Et sa mère était une sainte ; tous les deux (Issa et sa mère) mangeaient des aliments »(Cran 5 : 75).
    Conclusion
    Supposons que les attentats djihadistes en Occident ne contiennent aucun moteur ou facteur religieux, comme le voudraient faire croire politiciens et journalistes, dans la ligne des apologistes musulmans qui s’empressent toujours de déclarer : « Ceci n’a rien à voir avec l’Islam ». Supposons. Mais, en Orient, en Syrie, en Irak, en Egypte, au Nigéria, au Pakistan, dans les Philippines… on tue les chrétiens parce qu’ils sont chrétiens. Ceux-ci ne se lassent pas de prier pour leurs agresseurs et de déclarer avec fierté au Seigneur-Trinité : « C’est à cause de Toi que l’on nous met à mort tout le long du jour, nous avons passé pour des brebis d’abattoir» (Ps 44 (43), 22 ; Rom 8, 36).
    Que le Seigneur nous affermisse dans la foi et le témoignage, jusqu’au sang ! Et si beaucoup d’entre nous n’éprouvent aucun enthousiasme pour le martyre, eh bien qu’ils prient pour les pauvres chrétiens persécutés en Orient, en Asie, en Afrique ! Nous autres, nous avons existentiellement besoin « de la grâce de Jésus Seigneur,  de l’amour de Dieu le Père, et de la communion du Saint-Esprit » ! (2 Cor 13, 13).


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